Quand « Bienvenue a GATTACA » n’est plus si lointain…

Une petite news geek biologique pour présenter à ceux qui ne la connaitraient, mais qui en ont ou vont certainement en entendre parler, la technique de biologie moléculaire qui va rendre « Bienvenue à Gattaca » possible. C’est de la biologie, certes, mais c’est de la geekerie aussi, et la révolution est tellement importante que même les médias non spécialisés en parlent. Voici devant vos yeux ébahis le Crispr/Cas9, le début d’une nouvelle ère.

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Alors c’est quoi donc Crispr/Cas9 ? C’est une technique mise au point en 2012, qui permet de faire facilement de l’ingénierie moléculaire, plus précisément d’éditer les génomes. C’est quoi donc le génome ? Bah c’est l’information génétique contenue dans les cellules de tous les êtres vivants, codée par l’ADN. Tripoter ce génome, on sait faire depuis longtemps, mais c’était soit au pif, soit vaguement au pif mais un peu moins, soit pas du tout au pif mais pas du tout là où on le voulait.

Ces derniers temps on avait réussi à mettre au point des « ciseaux moléculaires » : des protéines dont la fonction naturelle est de couper l’ADN, qu’on modifie pour qu’elles coupent là où on le veut. C’était une grande avancée mais c’était très difficile et couteux à mettre en place (pour ceux qui voudraient creuser : Talen, Zing-Finger Nucleases, Meganucleases).

La technologie Crispr permet de faire le même type de manipulations mais plus précisément, pour presque rien, et très facilement. Et couper l’ADN pourquoi ? Il y a plein d’applications, mais en gros c’est soit faire un trou dans l’ADN pour faire un trou (et empêcher le gène touché de fonctionner par exemple), soit faire un trou pour recoudre avec n’importe quel bout d’ADN qui passerait, soit faire un trou pour recoudre avec l’ADN qui ressemble à ce qu’il y a autour du trou (ajouter des gènes, les déplacer, les remplacer).

Petit historique, et plaidoyer l’air de rien pour la recherche fondamentale. On n’a pas « inventé Crispr/Cas » parce qu’on le cherchait, on l’a inventé parce qu’on s’est intéressé à des tas de trucs à priori inintéressants.

En 1987 on remarque pour la première fois dans un obscur labo japonais que le génome de certaines bactéries présente des répétitions dans leur séquence d’ADN, régulièrement espacées. On les observe de façon récurrente dans les années suivantes, chez tout un tas de procaryotes (les bactéries en gros).

Il faut attendre 2002 pour que des hollandais (Jansen et ses potes, « Jansen et al. » comme on dit dans les journaux scientifiques) trouvent des protéines qui y sont associées et qu’on soupçonne de trafiquer l’ADN (potentielles hélicases et nucléases). Entretemps, les répétitions d’ADN des procaryotes ont été baptisées Crispr (pour Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats). Ces protéines sont appelés Cas (Crispr Associated Proteins).

En 2005, 3 groupes indépendants, dont 2 français, soupçonnent que ces séquences Crispr peuvent avoir un rôle dans l’immunité des procaryotes : ils aideraient à lutter contre les virus qui s’attaquent aux bactéries. En effet, les Crispr sont séparés par des séquences d’ADN qui ne sont pas d’origine bactérienne mais bien d’origine virale.

En 2007 c’est prouvé par des français et américains travaillant dans une boite de bio-techno spécialisée dans les probiotiques, associés à des québécois : ils montrent que les bactéries se « vaccinent » au contact de virus : elles intègrent des morceaux d’ADN des virus dans leurs Crispr, et sont ensuite capables de résister à ces virus.

Entre 2008 et 2011 on élucide petit à petit les mécanismes, et en 2012 parait dans Science un article de Jinek, Doudna, Charpentier et al. Ces deux dernières ont dirigés un paquet des travaux ayant amené à l’élucidation des mécanismes et se sont associées. On peut penser qu’elles recevront le Nobel un jour pour ça… L’article montre comment fonctionne le système Crispr/Cas9 : la protéine coupeuse est dirigée vers sa cible grâce, entre autres, à une séquence d’ARN qui correspond précisément à l’ADN à couper. Ils proposent également une version « simplifiée » du système où on programmerait la protéine grâce à un ARN de synthèse appelé ARN-guide, pour qu’elle aille couper la séquence voulue.

Dès l’année suivante les applications de cette technique se comptent par centaines dans les publications scientifiques et montrent qu’elle est utilisable dans une grande variété d’organismes et de cellules. En mai 2013 un article dans Cell rapporte la création de souris modifiées sur plusieurs gènes grâce à l’injection unique dans les embryons du « kit CrisprCas9 ». Depuis on a également modifié Cas9 pour qu’elle ne coupe plus, mais soit fluorescente par exemple, ou qu’elle active ou désactive le gène près duquel on l’envoie grâce à l’ARN-guide.

En 2014, Yin et al. sauvaient des souris adultes atteintes d’une maladie hépatique causée par une mutation en injectant leur CrisprCas9 dans le foie, la même année Long et al. corrigeaient les cellules germinales de souris modèles pour la myopathie de Duchenne. Et en avril 2015 des chinois publient dans Protein & Cell (après refus de publication semble-t-il par des revues plus prestigieuses) leurs manipulations d’embryons humains (non-viables les embryons, mais bon…).

Des approches prometteuses concernent la lutte ciblée contre les bactéries virulentes et/ou résistantes aux antibiotiques classiques, qui ne font pas de détail, eux : on peut en effet cibler les gènes particuliers à certaines souches de bactéries en laissant les autres tranquilles. Les applications sont innombrables. Les difficultés pas complètement levées néanmoins, par exemple ce qu’on appelle les « off-targets« , c’est à dire que les coupures vont avoir lieu ailleurs que là où on les voulait. Mais tout ça s’améliore petit à petit.

Voilà, comme quoi, ce n’est pas une évidence pour tout le monde, je ne le vois que trop autour de moi, la recherche fondamentale ça fait avancer les choses. ;)

On pourra parler une autre fois des progrès dans le séquençage de l’ADN. Vous savez ces films et séries où on voit une personne mettre son doigt sur une puce, une jolie molécule d’ADN se dessiner instantanément et l’intégralité de la séquence de ladite personne déchiffrée, ainsi que les informations qu’on peut en retirer ? Ça me faisait marrer il y a encore quelques années, mais… Bah on n’en est plus si loin…

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