Conf Apple – Part 2: l’art du timing

(par Julien / LordK)

On aura attendu une heure et demie avant de voir apparaître le premier iPhone mercredi soir. Pourquoi ? Parce qu’Apple avait décidé d’attaquer sur tous les fronts : montre, tablette, télévision. Un line-up qui sublime l’existant plus qu’il n’invente de nouvelles pratiques.

Watch-3Up-WatchOS2-3rdParty.jpgPassons sur la Watch, aussi rapidement qu’Apple. Elle a été expédiée en début de conférence (cela fait déjà deux fois), sans chiffres de vente (c’est rare) et avec des estimations un peu bullshit affichées au tableau (comme le fait que seulement 3 % des utilisateurs ne seraient pas satisfaits de leur récepteur de notification déporté). La grande nouveauté, c’est la date de sortie de WatchOS 2 (le 16 septembre) qui devrait être plus fluide et devrait autoriser les développeurs à une plus grande flexibilité vu qu’ils vont enfin pouvoir exécuter les apps directement sur la montre et plus uniquement depuis le téléphone.

À côté de cela, Apple a présenté de nouvelles couleurs de bracelet et un partenariat avec Hermès pour trois modèles de Watch. Celles-ci, vendues avec des bracelets de la marque de luxe dans une poignée de boutiques, sont particulièrement élégantes et proposées avec des watch faces exclusives, reproduisant les modèles iconiques de la maison. C’est un signe supplémentaire qu’Apple ne souhaite pas faire de sa montre un produit de nerd, mais a bien dans l’idée de se développer du côté de la mode. Une stratégie qui est peut-être la bonne, dans la mesure où les montres connectées relèvent plus de l’ornement que du gadget. Les prix oscillent entre 1.100 et 1.500 dollars sur cette gamme Hermès. C’est forcément cher pour une smartwatch, mais totalement abordable pour les clients habituels du marché luxe. Et c’est presque donné comparé au modèle or à plus de 10.000 euros…

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La deuxième version de l’Apple Watch ne verra pas le jour tout de suite, mais on peut s’attendre à de nouveaux partenariats avec des couturiers ou des marques de luxe pour développer le marché d’ici Noël. Mais un jour, il faudra bien nous les donner, ces chiffres de vente !

iPad Surface

Les évolutions de l’iPad méritent plus d’attention. Parlons d’abord de celle qui n’a eu le droit qu’à 2,85 secondes sur scène : l’iPad Mini 4. Pour le dire vite, Apple a fait tenir un iPad Air 2 dans un iPad Mini, ce qui est une excellente nouvelle pour ceux qui ne souhaitent pas faire de compromis sur le hardware, mais veulent tout de même une tablette de taille moyenne. Ce qui est intéressant, c’est son prix. À 399 euros, l’iPad Mini 4 fait figure de tablette idéale pour ceux qui tournent encore avec un iPad 2 – qui, au demeurant, fonctionne toujours à merveille.

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Pas excessivement chère, extrêmement puissante, Apple en a fait le véritable produit d’appel de sa collection de tablettes. Pas convaincu ? Il suffit de comparer les prix sur le store US et le store français : un iPhone coûte 100 euros de plus en France alors que le dollar et l’euro sont presque à parité (bon, n’oubliez pas que le prix FR inclue les taxes, ce qui n’est pas le cas sur le store US). En revanche, les iPad Mini 4 sont au même prix. L’une des explications pourrait être qu’Apple a conscience d’avoir sorti un trop bon produit il y a quelques années et souhaiterait maintenant pousser au renouvellement. Jusqu’à présent, quelqu’un avec un iPad 2 pouvait encore attendre des améliorations radicales ou une baisse de prix des nouveaux modèles. Avec le Mini 4, la mise à jour est clairement tentante et Apple le sait très bien.

Mais le clou du spectacle tablette, c’était évidemment l’iPad Pro. iPad Surface pour les détracteurs, Macbook Air Touch pour les haters, « Trop Gros iPad » pour les allergiques aux pommes, iPad « Mais Ils Vont Quand Même Continuer À Faire Des Macbook Hein Pitié ? » pour les flippés… On ne peut pas dire que l’annonce ait entraîné des éloges sur les réseaux sociaux. Et pour cause, la ressemblance avec des produits déjà vus était, peut-être, trop flagrante. Assez flagrant en tous cas pour que Joshua Topolsky, fondateur et ex-rédacteur en chef de The Verge se fende d’une analyse sur la manière dont Apple fait passer des technologies reprises ailleurs pour des innovations. Assez flagrante pour qu’un dessinateur ait prédit la keynote de 2015 en 2012.

Et la clef de cette logique de la « réinnovation » repose sur deux principes : le perfectionnement et celui que les chefs de produit connaissent bien, le time to market. Rien ne sert d’innover si la technologie qu’on propose n’est pas adaptée à un usage par des humains normaux et qu’elle ne correspond pas aux attentes du marché. Samsung et les constructeurs chinois sont de grands adeptes du premier travers : proposer des technologies à l’état de prototype sur des produits finis destinés au grand public. Google est un pro du deuxième travers : vendre des produits géniaux trop tôt pour l’Humanité (coucou Wave, Chromebook, Buzz…).

Apple a les qualités de ses défauts : certes, l’innovation pure n’est pas au rendez-vous, mais elle est tellement raffinée et proposée pile au bon moment qu’elle passe pour du neuf. Prenons le stylet, par exemple. Oui, Steve Jobs s’était moqué des stylets en 2007, au sujet des smartphones. Eh oui, il avait parfaitement raison. Demandez à Blackberry, Palm, HTC. En 2015, après tout le monde, Ive et Cook ont décidé que le stylet était adapté à l’usage de leur nouvelle tablette et peut-être auront-ils encore une fois raison.

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Car à lire les commentaires ici et là, on a l’impression qu’Apple vend 100 euros un bout de bois trempé dans du charbon. C’est à peu près le contraire : le Pencil est un concentré de technologie qui a dû attendre quelques années avant d’arriver à maturité. Dans un espace pas plus épais qu’un stylo, Apple a réussi à intégrer tout ce qu’il faut pour que l’expérience de dessin soit agréable et que le stylet et l’iPad se répartissent les tâches. Par exemple, le stylet envoie 240 fois par seconde un signal à l’iPad qui permet de le différencier d’un doigt sur l’écran, détecté moins souvent. Dans le même temps, cela permet une réactivité du trait à la milliseconde.

En outre, la pointe fait office de capteur de pression pour mesurer la force que vous mettez dans votre trait, mais sait aussi capter l’inclinaison. Dans la mine, ces deux engins vont calculer l’angle et l’orientation du trait et envoyer les données à l’iPad Pro qui va les interpréter. Même si l’Apple Pencil a les dimensions d’un stylo Muji, il est loin d’être un bête bout de plastique et c’est ce raffinement (taille, poids, épaisseur, charge, technologie, usage) qu’Apple attendait pour jouer sa carte. Un seul aspect manque et tout le produit devient bancal. Graphistes, designers et dessinateurs verront à l’usage si le duo permet d’atteindre les performances et le confort des produits Wacom, aujourd’hui sans véritable concurrence, mais il serait dommage de condamner la bête avant de l’avoir essayée.

La seule véritable question est de savoir à qui l’iPad Pro, cette brute de technique mesurant à peu près la taille d’un magazine, se destine. Une prédiction qu’on ne se risquerait pas à formuler, car seules les ventes et les applications développées pour les nouveaux usages que la tablette offre apporteront une réponse. Impossible d’imaginer en revanche qu’Apple a construit un produit limité aux seules professions artistiques qui tournent autour du dessin. Le monde pro, au sens large, est clairement dans le collimateur de la firme, surtout quand on voit les partenariats noués cette année avec IBM et Cisco, par exemple.

WiiTV

Qui a dit qu’il fallait dépenser plusieurs centaines d’euros pour mettre un pied dans l’univers d’Apple ? La télévision, que la firme décrivait jusqu’aujourd’hui comme un « hobby » est un bon exemple de produit perfectionné et accessible, sorte de fruit défendu à la portée de tous. Vendue pas plus de 150 euros pour le modèle 32 Go, la nouvelle Apple TV élève le niveau de jeu du secteur.

Pour résumer, elle fait à peu près tout ce que le grand public attend d’une box de salon. Accès à Netflix, Canal Play, Arte 7+, des chaînes de sport ou de science, petits jeux sympa seul ou à plusieurs, conversion de l’écran relié en écran étendu d’un Mac (ou device iOS) via AirPlay et location de films. Elle ne remplacera pas un NUC relié à un serveur de fichiers pour les plus exigeants, mais elle correspond à une demande de plus en plus grande : celle des télévisions connectées.

Et Dieu sait que la concurrence laisse à Apple un boulevard. Les box de fournisseurs d’accès sont de vastes blagues en termes d’interface et les télévisions connectées sont au mieux moyennes quand on ne tape pas dans le haut de gamme – et encore, je testais récemment une Sony 4K vendue 4 000 euros qui osait ramer dans les menus et décaler le son d’une console de jeu de 2 à 6 secondes… Les fabricants de « SmartTV » sont donc les premiers responsables du succès des Chromecast, Roku et autres boitiers du genre.

L’Apple TV nouvelle génération secoue un peu le secteur, car la petite boîte s’ouvre enfin aux applications. Cook l’a annoncé assez fièrement : le futur de la télévision, pour lui, passe par les apps. Même si c’est un enrobage différent pour les chaînes, on imagine assez facilement que ça puisse être le cas : au lieu d’appuyer sur le 2 d’une télécommande pour aller sur France 2, on irait sur l’application France 2 et on choisirait le live ou les replays. C’est le niveau zéro de ce que permet une application pour la télévision et il est à peu près certain que les chaînes ne vont pas manquer de saisir cette occasion d’innover à moindres frais. Et puis ce sera un prétexte pour faire entrer de nouveaux produits sous le régime de la redevance. Chouette alors…

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Mais du coup, grâce à cela, la télévision devient un centre de divertissement : en plus de la vidéo, on peut y lancer la musique d’Apple Music et jouer grâce à une télécommande qui n’est pas sans rappeler la Wiimote de la première console « nexjène » de Nintendo. Là encore, ce n’est pas faire un gros pari que d’imaginer un usage varié, de post-apéro entre potes à baby-sitter de secours pour distraire le petit dernier de vos amis.

Le plus impressionnant reste peut-être l’intégration de Siri dans tout le système. Le compagnon d’Apple est présent à tous les niveaux, de la Home jusqu’à l’intérieur d’un film. Vous pouvez lui demander de sélectionner une scène particulière d’un long métrage, de vous faire une sélection de films d’action, de vous indiquer qui est l’acteur à l’écran ou encore, de lancer un jeu. Le micro est intégré directement à la télécommande et les interactions ont été pensées pour ne pas oublier les partenaires : si vous demandez un film, Siri cherchera sa disponibilité sur iTunes, Netflix, Hulu et les autres – espérons que les services français seront ajoutés aux résultats.

Comme souvent avec les technos de ce genre, la démonstration risque d’être plus alléchante que l’utilisation réelle et on se gardera de louer la pertinence de cette Siri nouvelle génération avant d’avoir pu la tester. Finalement, seuls ceux qui souhaitaient une box 4K seront déçus : cette année, ce n’est pas au programme. Que voulez-vous, on sait depuis maintenant longtemps qu’Apple garde des billes pour les modèles suivants. Et puis qui sait, peut-être y a-t-il encore une fois un rapport avec le time to market pas bien difficile à deviner…

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