La saga Marvel Studios, 1ère partie : l’ère du Phénix

Si aujourd’hui les Avengers et les Gardiens de la Galaxie sont d’incontestables icones populaires et synonymes de succès au box-office, à la fin des années 90, Marvel Entertainment, la maison-mère de ces héros, est passée à deux doigts de mettre la clé sous la porte. Chronique d’un sauvetage in extremis et d’une renaissance inespérée.

Marvel_10Nous sommes au milieu des années 80. Pendant que Michael Jackson inonde les radios avec son album Thriller et que Steven Spielberg explose le box-office avec E.T., dans le monde des comic books, on fait un peu la gueule. Les ventes sont en baisse constante depuis plusieurs années et rien ne semble indiquer un changement de tendance à court terme.

Dans un sursaut de survie, les différentes maisons d’édition tentent d’endiguer ce déclin. Et à ce jeu-là, c’est DC Comics qui s’en tire le mieux en proposant deux titres qui, en 1986, vont drastiquement changer le paysage des comics aux Etats-Unis : The Dark Knight Returns et Watchmen. Orientés vers un public plus adulte, ces deux séries vont permettre à DC de renouveler son lectorat et surmonter la crise.
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Pendant ce temps-là, chez Marvel…

…on fait un peu n’importe quoi. Misant plutôt sur le statut d’objet de collection dont pense pouvoir se revendiquer le comic book, la Maison des Idées (le petit surnom de Marvel pour les initiés) va s’engager sur les chemins tortueux et risqués de la spéculation. Et plutôt que de partir à la conquête d’un nouveau lectorat, l’éditeur va multiplier les gimmicks : couvertures multiples pour un même numéro, intégration d’hologrammes ou d’autres artifices pour leur donner un aspect plus luxueux, le tout combiné à une augmentation constante des prix (on est passé de 40 cents à 1$ entre le début et la fin des années 80).

De manière plutôt prévisible, le public va rapidement lâcher prise. Mais ces bandes-dessinées qui se verraient plutôt dans des coffres-forts que dans des bibliothèques vont attirer l’attention d’hommes d’affaires et financiers qui n’y connaissent rien en comics mais sentent le potentiel de profits rapides. Parmi ceux-ci, un certain Ronald Perelman, président du holding MacAndrews & Forbes.

« Ce ne sont pas les super-héros que vous recherchez… »

Le 6 janvier 1989, persuadé de s’offrir Superman, Perelman rachète Marvel pour 82 millions de dollars. Trois ans plus tard, déçu d’apprendre que le Kryptonien ne figure pas au catalogue de Marvel, il introduira l’éditeur en bourse pour tenter de rentabiliser son investissement. Perelman n’a que faire des comics, ce qui l’intéresse, c’est la valeur marchande des personnages. En outre, il se sert de la société (comme avec toutes celles qu’il possède) pour donner libre cours à sa frénésie d’acquisitions. Rapidement, les comptes de Marvel plongent dans le rouge.

Pour tenter d’endiguer l’hémorragie, le management cumule les mauvaises décisions : augmentation des prix, multiplication des titres, entrainant un regain de complexité dans un univers déjà difficile à appréhender pour les profanes. Des choix qui vont montrer très vite leurs limites et amener Marvel à se déclarer en faillite le 27 décembre 1996.

Yes, Icahn

C’est ce moment que choisit un autre homme d’affaire, le redoutable Carl Icahn (considéré par beaucoup comme un fieffé maitre-chanteur) pour entrer dans la danse. Lui non plus n’a aucune affinité avec les comics, mais voit dans cette situation un moyen efficace de se faire facilement de l’argent. Un bras de fer avec Perelman s’engage, arbitré par les banques qui, en accord avec le Chapitre 11 de la loi américaine sur la faillite, cherchent une solution de redressement financier.

En juin 1997, les créanciers tombent enfin d’accord, tranchent dans cet interminable joute entre les deux hommes d’affaires et acceptent le plan d’Icahn. Ce dernier devient illico l’actionnaire majoritaire de la société et Perelman se retire, vaincu.

Avi Arad

Avi Arad

Mais c’était sans compter sur l’irruption d’un troisième larron, un homme d’affaire israélien du nom d’Avi Arad, et co-propriétaire avec Ike Perlmutter (un autre businessman aux dents longues) de la société de jouets Toy Biz, détentrice de l’exclusivité sur la production de produits dérivés Marvel.

L’avide Arad

Arad tape du poing sur la table et réussit à convaincre les banques que le plan d’Icahn est une sombre arnaque, et qu’en réalité, les personnages de comics valent bien plus que ce qui est offert. Plot twist, le 31 juillet 1998, les banquiers changent finalement d’avis, renvoient Icahn au vestiaire et confient la gestion de Marvel aux boss de Toy Biz : Arad et Perlmutter. Un moment-clé dans l’histoire de Marvel et le début d’une nouvelle ère.

L’avantage d’Arad sur ses prédécesseurs, c’est qu’il a de réelles affinités avec l’univers des comics, il connait la valeur de ces personnages vêtus de spandex et surtout, il a quelques idées pour transformer leurs super-pouvoirs en jolis billets verts. Pour l’épauler, Perlmutter place Bill Jemas à la tête de la branche édition en janvier 2000, avec pour mission d’en redresser les finances au plus vite.

Au même moment, du côté des scénaristes et dessinateurs, c’est plutôt l’euphorie en mode « chant du cygne ». Comme la société est toujours en situation critique, son pôle créatif tente le tout pour le tout, prend des risques, et sous l’impulsion de Jemas, va donner un grand coup de pied dans 70 années de continuité, principal frein à la conquête de nouveaux lecteurs, souvent découragés par une historique aussi colossale.

« Avez-vous essayé de redémarrer votre machine ? »

Dans cette optique, de nombreuses initiatives vont voir le jour. Outre MAX (comics destinés à un public adulte) et Marvel Adventures (destinés eux aux plus jeunes), c’est surtout grâce à Marvel Knights et Ultimate Marvel que la société va définitivement redresser la barre et s’ouvrir à de nouveaux marchés.

D’abord sous-traitée à Event Comics, une petite maison d’édition indépendante fondée par Joe Quesada et James Palmiotti, la gamme Marvel Knights va avoir pour mission de « rebooter » quatre personnages du catalogue : Black Panther, The Punisher, les Inhumans, mais surtout… Daredevil ! L’idée de génie du duo (qui va entre-temps être intégré à plein temps chez Marvel) sera d’impliquer le réalisateur de cinéma Kevin Smith dans le processus, en lui confiant les rennes d’un nouvel arc sur Matt Murdoch, le célèbre avocat aveugle, The Man Without Fear. L’arrivée de Smith dans l’équation va soudainement attirer l’attention d’Hollywood et faire prendre conscience à l’industrie du 7ème art qu’il existe sans doute un réel potentiel de faire de la thune en adaptant des histoires de super-héros sur grand écran.

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En parallèle à Marvel Knights, Jemas initie également la création d’Ultimate Marvel, un reboot complet de l’univers, sur des arcs courts (en moyenne 6 numéros) abandonnant la narration classique (et parfois interminable) de numéro en numéro. En clair, les comics s’adaptent désormais à un format plus court : celui du cinéma. Génie. Les ventes explosent, notamment sous l’impulsion de poids lourds du milieu, comme les talentueux scénaristes Brian Michael Bendis et Mark Millar, et bien entendu le désormais incontournable Joe Quesada.

Marvel fait son cinéma

Le succès est double : Marvel sort enfin du rouge et Hollywood s’intéresse de très près au phénomène. Arad en profite pour se lancer, via la création de Marvel Studios en 96, dans le « licensing » des personnages du catalogue à différents studios de cinéma. Pour faciliter le processus, il leur propose des paquets « clés en main », grâce auxquels il contrôle toute la phase de pré-production, s’occupant de commander les scénarios, de recommander des réalisateurs et des acteurs, et laissant aux studios le soin de gérer la production et la distribution.

Le premier projet à voir le jour sera Blade, produit par New Line en 1998, et son succès (130 millions de dollars de revenus pour un budget initial de 40) finira de convaincre Hollywood du potentiel des films de super-héros, permettant à Marvel de négocier la mise en chantier de deux des franchises ciné les plus importantes de son histoire : celle des X-Men, produite par la Fox et dont le premier film verra le jour en juillet 2000, et celle de Spider-Man, produite par Sony, qui déboulera dans les salles obscures le 3 mai 2002.

D’autres longs métrages verront le jour selon le même principe, dont notamment The Punisher (avril 2004) avec Lionsgate, Blade II (mars 2002), toujours avec New Line et Hulk (juin 2003) sous la bannière Universal Studios.

« Pas assez cher, mon fils… »

Mais Arad n’est pas satisfait. Il réalise que les valises de liasses qui reviennent chez Marvel sont plutôt légères et ça ne sied guère à un businessman de sa trempe. A titre d’exemple, sur les deux premiers films Spider-Man de Raimi, qui ont rapporté la bagatelle de 1,6 milliards de dollars, on estime que Marvel n’a encaissé qu’un maigre chèque de 75 millions. Not good enough, et le signal qu’il est peut-être temps de changer de stratégie : du coup, plutôt que de sous-traiter la production et la distribution à d’autres studios, Arad réussit à convaincre le frugal Perlmutter de dorénavant tout produire en interne.

Pour ce faire, Perlmutter engage David Maisel, à qui il confie les clés du studio et la mise en place d’une liste de films à développer. Maisel, qui connait bien les ficelles hollywoodiennes, se charge de convaincre les banques d’allonger la thune nécessaire à la mise en chantier du projet, et récolte au final de quoi financer une dizaine de films. L’avenir de Marvel Studios semble bien engagé.

Malheureusement, la bisbrouille éclate rapidement entre Arad (président du studio) et Maisel (président du conseil d’administration), principalement sur le choix des films à produire, et en mai 2006, alors que la pré-production vient tout juste de débuter sur Iron Man, Arad quitte le navire, un gros chèque sous le bras. Est-ce déjà la fin d’un joli rêve ?

Pas vraiment… Un petit nouveau va faire son apparition et gravir rapidement les échelons du pouvoir dans le tout nouveau studio, un jeune assistant qui a jusqu’ici servi de conseiller sur les franchises licenciées à la Fox et à Sony, un passionné de comics, véritable encyclopédie du lore Marvel et futur architecte du MCU. Son nom ? Kevin Feige.

Scène post-générique

« I’m here to talk to you about the Avengers initiative… »

C’est avec cette phrase a priori anodine, prononcée par Nick Fury à la fin du film Iron Man, que Marvel va faire exploser la tête de millions de fans à travers le monde et jeter les premières bases du MCU, le Marvel Cinematic Universe, un ambitieux projet d’univers unifié qui fera date dans l’histoire du cinéma. À découvrir bientôt dans la deuxième partie de cette saga…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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