La saga Marvel Studios, 4ème partie : Iron Man 2, la suite précipitée

Après le succès relativement inattendu d’Iron Man, Marvel veut battre l’homme de fer tant qu’il est chaud. Une suite est mise en chantier dès la sortie du premier opus. Trop vite ? Sans doute. En tous cas, cette urgence va planer telle une ombre sur tout le tournage et montrer pour la première fois les limites de la « méthode Marvel ».

im2_1

Maintenant que le succès du film Iron Man est acquis, le studio est très attendu au tournant. Fini d’incarner l’outsider venu du nulle part qui n’a rien à prouver : la machine à dollars est lancée, il ne faut surtout pas qu’elle décède prématurément. La pression est énorme. Et Jon Favreau, qui rempile pour ce deuxième épisode, ne veut absolument pas décevoir les attentes du public.

Malheureusement, d’entrée de jeu, cette pression amène Marvel à faire un premier faux pas : celui de lancer la production d’une suite ambitieuse dans des délais peu raisonnables. Peut-être par excès de confiance, ou pour respecter des impératifs financiers, le studio vise en effet une sortie en avril 2010, soit deux ans à peine après le début de la franchise.

Peut-être que le chaos maitrisé du premier film leur a donné l’impression qu’ils étaient plus que capables de gérer ce fameux « flux tendu »… Toujours est-il que, clairement, ce choix de mettre le film en route très vite va peser lourdement sur tout le reste du processus et pousser l’équipe dans ses derniers retranchements.

Poseur, Stark ? Naaaaan...

Poseur, Stark ? Naaaaan…

On veut plus de sous !

Indépendamment de cette première décision discutable, Marvel va aussi perdre du temps et de l’énergie en coulisses, au moment de renégocier les contrats. De manière compréhensible, le succès aidant, tout le monde aimerait bien voir son chèque crédité de quelques deniers supplémentaires : en gros, Favreau veut plus, RDJ veut plus, même Terrence Howard veut plus, alors qu’il était déjà l’acteur le mieux payé (et de loin) sur le premier film.

Et si le studio ne rechigne pas à revaloriser son réalisateur et son acteur vedette, le pauvre Howard se verra quant à lui poliment mais fermement remercié, remplacé au pied levé par un Don Cheadle qui n’en demandait pas tant. Pour le coup, on pourrait trouver Marvel radin : se séparer d’un acteur important pour ne pas avoir à mettre la main à la poche, c’est pourtant une attitude qui sied parfaitement à ce bon vieux Ike Perlmutter. Eh oui, c’est toujours l’oncle Picsou qui signe les chèques ! Et pour le moment, Kevin Feige, l’architecte du MCU, fraichement promu à la tête du studio depuis le départ d’Avi Arad, est toujours obligé de passer par lui pour toutes les affaires d’argent. C’est ce qui motivera d’ailleurs sa volonté de court-circuiter l’influence du big boss et qui mènera en 2015 à quelques changements hiérarchiques conséquents dont on reparlera plus tard.

Mais pour le moment, la thune est un problème bien concret qui s’ajoute au stress ambiant d’une production anticipée. Un autre acteur essentiel que le studio a du mal à faire signer, c’est Samuel L. Jackson. Après un caméo très réussi à la fin du premier Iron Man, l’acteur est invité à jouer un rôle plus important dans la franchise. Sans doute pour compenser la disparition du film initialement prévu autour de Nick Fury, en injectant la back story du personnage dans le long métrage sur Stark. Après tout, le SHIELD est important dans la storyline des Avengers, il faut bien le caser quelque part.

Finalement, après plusieurs mois de discussions tendues, Jackson signe un contrat record portant sur 9 films du MCU. Du jamais vu à Hollywood, mais qui deviendra néanmoins une pratique systématique chez Marvel, qui n’hésitera pas à s’engager sur le long terme avec ses acteurs. Un choix cohérent quand on essaie de mettre en place un univers organique qui évolue, mais qui curieusement ne semble se concrétiser dans l’esprit du studio qu’au moment de cette première renégociation.

Et pour en finir avec le SHIELD, Marvel choisit également d’intégrer le personnage de Black Widow, elle aussi centrale à la franchise Avengers et qui verra l’arrivée au casting d’une certaine Scarlett Johansson. Deux nouveaux acteurs de renom pour étoffer l’affiche, c’est cool, mais pour Favreau, ce sont surtout deux balles supplémentaires qui s’ajoutent à un jonglage déjà périlleux. Il va lui falloir un scénariste qui assure.

Black Widow, incarnée par Scarlett Johansson, très impliquée dans les scènes physiques de son personnage. Ici, mimant une séance de pétanque avec des amis du SHIELD.

Black Widow, incarnée par Scarlett Johansson, très impliquée dans les scènes physiques de son personnage. Ici, mimant une séance de pétanque avec des amis du SHIELD.

Theroux de la fortune

Pour écrire l’histoire de cette suite très attendue, Marvel choisit Justin Theroux, sur recommandation de Downey Jr. Preuve s’il en fallait que l’acteur est très investi à tous les échelons décisionnels du studio. Ce n’est d’ailleurs pas la dernière fois que RDJ poussera un de ses potes dans le bureau de la DRH de Marvel. Mais pour l’heure, ce qui amène RDJ à recommander Theroux, c’est qu’ils viennent de bosser ensemble sur le très rigolo Tropic Thunder. Une collaboration qui a manifestement marqué Downey Jr. et l’incite à tenter d’intégrer Theroux dans la dynamique qu’il entretient avec Favreau depuis le premier film.

Et sur le plateau, le trio fonctionne plutôt bien. Comme sur le premier tournage, Favreau accorde une grande liberté d’improvisation à ses acteurs, Theroux ajoutant un grain de sel bienvenu pour agrémenter des dialogues conçus un peu à l’arrache. Cela donne d’ailleurs deux des scènes les plus drôles du film.

Tout d’abord, l’audition du Sénat, dont une bonne partie est improvisée par RDJ, en collaboration avec ses camarades acteurs, Sam Rockwell (qui incarne le big bad du film, Justin Hammer) et Garry Shandling, un comédien de stand up parfaitement dans son élément.

Ensuite, dans cette scène fantastique où Hammer présente sa collection d’armes aux militaires, répétant les spécifications techniques que lui souffle Theroux dans une oreillette et brodant autour, en freestyle total, des remarques hilarantes et des surnoms débiles.

Ces moments où la sauce prend sur le plateau permettent à Favreau de maintenir le cap. Mais on le voit clairement dans les featurettes, même officielles, la fatigue s’installe. Plus le tournage avance, plus il se décompose. Non seulement il navigue un peu à l’aveugle en espérant que ça passe (l’histoire est globalement en train d’être écrite sur le plateau), mais tout ne se déroule pas de manière aussi fluide que sur le premier tournage. En outre, comme toutes les équipes bossent en parallèle, Favreau se voit contraint d’être présent partout, tout le temps. Ce qui n’invite pas non plus à la détente.

"Est-ce que je peux me pendre avec ce truc ?" se demande probablement Jon Favreau à cet instant du tournage.

« Est-ce que je peux me pendre avec ce truc ? » se demande probablement Jon Favreau à cet instant du tournage.

Et là, c’est le drame…

Le stress est palpable. Le pauvre Favreau surnage tant bien que mal. Son amour du perso et son engagement ont beau être sincères, on le sent dépassé par les éléments. Tout va trop vite, le parcours est plus accidenté que la première fois et lentement, mais surement, la machine se grippe.

On est tellement concentré sur les challenges à gérer au quotidien, qu’on ne pense plus vraiment au projet dans son ensemble. (Jon Favreau sur le tournage d’Iron Man 2, 2009).

Et c’est bien ça le problème. Au moment d’investir le banc de montage, le constat tant redouté après une si longue navigation à l’aveugle fait mal : pour sauver le film, il va falloir faire des coupes magiques. Plus qu’un simple travail de nettoyage ou de perfectionnement du rythme, comme sur The Incredible Hulk, c’est carrément une bonne partie du long métrage qu’il va falloir réécrire avec la contrainte d’utiliser des scènes déjà tournées.

Ce qui explique notamment son rythme étrange, mal maitrisé, ces transitions qui dénotent, ces « trous dans le scénario » qu’on a du mal à s’expliquer. Globalement, on a l’impression que le film multiplie les moments de grâce, notamment via ses scènes d’action (l’arrivée de Whiplash sur le circuit de Formule 1 à Monaco ou la baston dans les jardins japonais), mais en les liant maladroitement avec du gros scotch.

Mickey Rourke s'apprêtant à découper les producteurs de Marvel.

Mickey Rourke s’apprêtant à découper les producteurs de Marvel.

Mickey mousse

Grosse victime de ce charcutage ultime : le pauvre Mickey Rourke. Alors oui, l’acteur a la réputation d’être difficile, exigeant et pas toujours très inspiré, mais on peut difficilement l’accuser de ne pas s’être investi dans le projet. Pour préparer son personnage, le bonhomme a tout de même passé plusieurs jours dans une prison russe, sans que personne ne lui ait rien demandé. Déjà, respect. Et lors de longues conversations téléphoniques avec Favreau, il n’aura de cesse de lui soumettre des idées de dialogues ou de scènes pour étoffer le background de son personnage.

Malheureusement pour lui, ces suggestions ne font pas l’unanimité, pour rester poli. Et parmi les scènes qui se retrouvent à la poubelle au moment du montage, une bonne partie des siennes, forcément. Un peu à l’instar du sort réservé aux réécritures de Norton sur The Incredible Hulk, soit dit en passant.

Dans une interview récente, Rourke est d’ailleurs sorti de sa réserve pour expliquer que plus jamais il ne bosserait avec Marvel, invoquant le fait que la majeure partie de ses scènes avaient été évincées du produit final et qu’il se sentait un peu trahi de s’y être autant investi. On peut le comprendre, mais on peut aussi comprendre le choix de la production : si la performance des acteurs freine le rythme, pas de quartier. On n’est pas là pour faire du Godard.

Mais même en cherchant à justifier les décisions du studio, reste celle, inexcusable, d’avoir voulu absolument précipiter la production, probablement pour des histoires de gros sous. Sortir une suite très attendue est déjà en soi un challenge de haut niveau, mais quand il faut en plus compter sur des délais courts et une production en flux tendu, le moindre grain de sable devient rapidement une montagne difficile à enjamber.

Un tournage chaotique, allégorie.

Un tournage chaotique, allégorie.

Iron Meh 2

C’est sans doute ce qui s’est passé sur le tournage d’Iron Man 2. Trop de bricolage, trop de paramètres à gérer simultanément, pour un film qui au final, sans réellement décevoir, ne fera pas revivre la magie du modèle que fut le premier. En coulisses, comme dans le public, le constat sera un peu amer.

Au final, le film rapportera plus que son prédécesseur, mais ça ne suffira pas à convaincre Favreau de retenter l’expérience une troisième fois. Officiellement, le réalisateur manifestera l’envie d’accepter un deal que lui propose Disney pour aller faire tout à fait autre chose, mais officieusement, on le sentira surtout vidé par l’expérience. La rumeur veut qu’on lui ait en outre refusé la réalisation d’Avengers et que cet élément aura sans doute aussi contribué à son départ. Il reste néanmoins en bons termes avec le studio, puisqu’il a continué de coproduire les films de la franchise et d’y incarner son personnage de Happy.

Pour Marvel, même si le succès commercial est une fois de plus au rendez-vous, on sent qu’il y a néanmoins quelque chose qui ne tourne déjà plus très rond. Entre Perlmutter et son avarice, et cette pratique de la production en flux tendu, avec tous les risques que ça implique, le studio semble avoir déjà atteint ses limites. Il reste pourtant deux autres franchises à lancer avant d’aboutir à l’apothéose Avengers, et pas des plus faciles : Thor, le cosmique cheesy, et Captain America, le patriote un peu chiant. Deux films qui, au final, s’avèreront être surtout des « fillers », intéressants d’un point de vue technique, mais n’atteignant jamais le statut de films véritablement autonomes, qui peuvent être appréciés en dehors de toute implication dans le MCU.

Mais ça, ce sera pour la semaine prochaine…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


Note : cet article est l’équivalent de 4 à 5 pages de magazine. Il n’est possible de rédiger des papiers de cette taille que grâce à nos soutiens Paypal, mais surtout à nos patrons. Oui, on sait, c’est pas le bon terme. Mais nous, ça nous fait rire. Et quand on reçoit des sous aussi, d’ailleurs. Du coup, merci à vous, qui mettez la main à la poche pour nous inciter à bien bosser ! Et si vous n’avez pas encore franchi le pas, pensez à soutenir Geekzone pour que nous puissions augmenter la cadence !

Vous devriez également aimer…