La saga Marvel Studios, 6ème partie : Captain America, l’homme hors du temps

Dernière ligne droite avant l’apothéose Avengers, le premier film de la franchise Captain America met une nouvelle fois Marvel Studios face à un challenge délicat : réussir à donner vie sur grand écran à un de ses personnages les plus populaires, mais aussi l’un des plus anachroniques. Le costume étoilé et la morale un peu surannée ont-ils encore du sens en ce début de 21ème siècle ? Vous ne devinerez jamais…

catfa_5Autant il a été jusqu’ici plutôt facile de moderniser les thématiques des comics pour le cinéma (en transposant par exemple les incidents d’Iron Man du Vietnam à l’Afghanistan), autant la destinée de Steve Rogers est indissociable des années 40 et de la Deuxième Guerre mondiale. Un contexte manichéen et très patriotique a priori pas particulièrement sexy dans le cadre d’un MCU résolument moderne. Surtout quand on vient de faire vibrer le public avec les aventures hi-tech d’un anti-héros en armure volante ou celles, cosmiques, d’un quasi-Dieu originaire d’un monde extra-terrestre.

D’ailleurs, jusqu’ici, les tentatives de transposer le super-héros en « live action » n’ont pas été de franches réussites. Outre un serial de 1944, qui n’avait finalement qu’un lointain rapport avec le personnage original, notre bon vieux Captain a surtout connu les affres de téléfilms de seconde zone (fin des années 70) et du « direct-to-video » (en 1990). La tâche s’annonce donc plutôt rude pour réussir à convaincre le public que cette fois, ça va être vraiment chouette.

Marvel lance dès 2000 une première tentative d’adaptation, en coproduction avec Artisan Entertainment, mais le projet tournera court quand éclatera une dispute autour des droits avec Joe Simon, le co-créateur du comics original de 1941 (avec le dessinateur Jack Kirby). Finalement, après moult péripéties, un arrangement à l’amiable sera trouvé en 2003, et le projet sera finalement remis à l’ordre du jour, dès 2005, quand Marvel Studios décrochera son prêt bancaire et se lancera dans la production en solo de ses propres films.

Captain Rocketeer

Joe Johnston (à droite) expliquant à Chris Evans comment crasher un avion dans l'océan.

Joe Johnston (à droite) expliquant à Chris Evans comment crasher un avion dans l’océan.

En avril 2006, le studio confie l’écriture du scénario à David Self (Road To Perdition), très versé dans les comics qu’il a dévoré étant gamin. Jon Favreau, en contact étroit avec Avi Arad, le patron du studio, depuis leur rencontre sur le tournage de Daredevil, manifeste son envie de réaliser le film. Mais son angle très orienté « comédie » ne convainc pas vraiment le studio, qui déclinera poliment son offre. Un mal pour un bien, puisque ce refus lui permettra de se voir offrir en lieu et place le tournage d’Iron Man, avec le succès qu’on connait.

Fin 2007, la grève des scénaristes éclate à Hollywood et paralyse l’industrie. Le scénario de Self est momentanément mis au placard, et pendant ce temps, Marvel approche le réalisateur Joe Johnston (October Sky, The Rocketeer) en qui le studio voit l’homme idéal pour chapeauter le projet. Pourquoi idéal ? Parce que Marvel cherche avant tout à faire de ce Captain America: The First Avenger un film d’époque, un genre dans lequel Johnston a déjà fait ses preuves. Alors, certes, l’homme n’a jamais caché son manque d’affinité avec l’univers des comics, mais comme il a la réputation d’être relativement souple quand il s’agit de bosser avec un studio faisant preuve d’ingérence, ce côté « yes man » compense largement aux yeux de Marvel son manque d’intérêt pour le matériau original.

Un accord est finalement trouvé en janvier 2008 avec la WGA (la Writers Guild of America, à l’origine de la grève mentionnée ci-dessus), accord qui va permettre au studio de relancer illico le développement du projet. Et après plusieurs mois de cour, Johnston cède et signe en novembre 2008. Sans perdre une seconde, il recrute les scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely pour reprendre en main le premier draft de Self. Une décision qui va s’avérer capitale pour l’avenir du MCU, le duo allant devenir non seulement central à la franchise Captain America, mais aussi au MCU dans son ensemble. Mais ça, on aura l’occasion d’en reparler.

Script doctor

Grâce à l'utilisation d'un masque en silicone, Hugo Weaving peut exprimer toute l'étendue de son talent d'acteur sans le handicap habituellement associé à l'usage d'une prothèse en latex.

L’utilisation d’un masque en silicone (et non en latex pour une fois) articulé en sept parties permettra à Weaving d’exprimer toute l’étendue de son talent.

Une fois le scénario bouclé par le tandem, Marvel charge Joss Whedon de peaufiner l’ouvrage. Car outre l’écriture et la réalisation du film The Avengers pour lequel il vient de signer, c’est également à ce dernier qu’incombe de superviser (depuis Thor) l’intégrité du MCU et de s’assurer d’une totale cohérence entre les différents films de la franchise. Sur Captain America, son boulot consistant essentiellement à développer les personnages et leurs relations, il ne sera finalement pas crédité au générique du film. Mais son empreinte est indéniable, notamment sur une bonne partie des dialogues.

Et pendant que le papa de Buffy finalise les derniers détails scénaristiques, Johnston attaque la phase de pré-production en décembre 2009. Son principal focus : les armes et véhicules. L’idée, c’est de mélanger prototypes authentiques de l’époque avec des éléments de SF propres aux comics, histoire de conférer au film un chouïa de modernité, malgré les restrictions imposée par le cadre du milieu de siècle.

Côté casting, après avoir lorgné sur Ryan Philippe (Studio 54) et John Krasinski (The Office), c’est finalement sur Chris Evans (Fantastic Four) qu’il jettera son dévolu pour le rôle-titre. Pour lui donner la réplique dans le rôle de sa Némésis historique, le fameux Red Skull (Crâne Rouge, en VF), le réalisateur s’offrira les services de l’agent Smith dans Matrix, l’excellent acteur australo-britannique Hugo Weaving.

Comme pour les films précédents, la notoriété sans cesse grandissante de Marvel Studios permet à Johnston de recruter du beau linge pour les rôles secondaires : Tommy Lee Jones (Colonel Phillips), Neal McDonough (Dum Dum Dugan), Toby Jones (Arnim Zola) et même l’illustre Stanley Tucci (qui incarnera le Dr. Abraham Erskine, l’inventeur du sérum responsable de la transformation de Steve Rogers en « super soldat »). Sans oublier bien entendu le retour de l’ami Nick Fury (Samuel L. Jackson) et l’arrivée du futur Winter Soldier, Bucky Barnes, sidekick du Captain, incarné par Sebastian Stan qui signera, comme tous les acteurs importants de la franchise, un contrat portant sur plusieurs films.

Effets secondaires

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Une des rares photos de Chris Evans qui ne me fasse pas complexer sur mon physique.

Lorsqu’il débarque sur le projet, Christopher Townsend, en charge des effets spéciaux, se dit qu’il vient d’hériter d’un boulot plutôt peinard : ce bon vieux Cap’ ne dispose pas de pouvoirs particulièrement visuels, et retranscrire sa force surhumaine à l’écran ne devrait a priori pas demander beaucoup de boulot à son équipe. Le malheureux oublie juste un détail : tout le premier acte (soit 1/3 du film) relate l’histoire de Steve Rogers avant sa transformation en super-héros, alors qu’il n’est encore qu’un être frêle et chétif, bien loin du physique imposant que vient de se confectionner Chris Evans après trois mois d’entraînement physique intensif.

Comme Evans ne veut pas qu’un autre acteur incarne le personnage à sa place pendant cette partie cruciale de son histoire, et que le planning ne permet pas d’attendre que les muscles de l’acteur fondent comme neige au soleil, il va falloir ruser. Et c’est sans doute l’avancée la plus intéressante du film : celle d’avoir réussi par une prouesse technique assez folle à transformer la stature imposante d’un Evans post-gonflette en nabot maigrichon.

Pour ce faire, Townsend va combiner deux techniques. D’abord, grâce à de la « chirurgie esthétique numérique », via laquelle la société californienne Lola va, image par image, pixel par pixel, réduire les proportions de l’acteur jusqu’à lui donner l’apparence voulue. Et quand cette option n’est pas envisageable, en incrustant le visage d’Evans sur le corps d’un autre acteur, au physique plus svelte, toujours par le biais d’outils numériques.

Mais du coup, ce mode de fonctionnement n’est pas sans présenter un inconvénient majeur : chaque scène intégrant « skinny Steve » nécessite pas moins de quatre prises distinctes. Une première prise « normale », avec tous les acteurs, une seconde sans Evans, une troisième juste avec Evans, et une quatrième, avec sa doublure version « slim », histoire de donner aux génies des effets visuels tout le matos dont ils vont avoir besoin pour faire de la magie en coulisses.

Des VFX musclés

Au final, et malgré quelques moments où l’on flirte d’un peu trop près avec la vallée dérangeante, le résultat est bluffant de réalisme, et permet d’apprécier encore mieux la transition du personnage vers son statut final de super-héros aux muscles saillants. Le procédé sera d’ailleurs réutilisé et amélioré pour une scène de flashback dans Captain America: The Winter Soldier, le deuxième opus de la saga. Le studio innove et impressionne, et vu son jeune âge, c’est une prouesse qui mérite d’être soulignée.

Peggy Carter, cantonnée au rôle de "love interest" dans le film, se vengera quelques mois plus tard en décrochant sa propre série télé.

Peggy Carter, cantonnée au rôle de « love interest » dans le film, réclamant ici sa propre série télé auprès des producteurs.

En dépit d’un travail de post-production titanesque (1600 plans en VFX tout de même), le film se bouclera dans les temps et dans les clous du budget imposé de 140 millions de dollars. Le souvenir du chaotique Iron Man 2 a beau être encore très frais dans les esprits, Marvel a semble-t-il définitivement trouvé son rythme de croisière. Johnston ne tarira d’ailleurs pas d’éloges sur son expérience et manifestera même l’envie de reprendre le flambeau pour une suite, privilège qui lui sera finalement refusé par le studio, au profit de deux inconnus originaires du monde des sitcoms télé, les frangins Joe et Anthony Russo.

Le seul qui quittera le tournage avec un sentiment pour le moins mitigé, ce sera Weaving. Mais pas parce qu’il garde un mauvais souvenir de l’expérience, plutôt parce qu’il réalise que ce genre de projets ne correspond finalement pas trop à ce qu’il a envie d’exprimer en tant qu’acteur. Fair enough, Hugo.

Le revers du bouclier

Le film sera présenté en avant-première aux fans lors de la Comic-Con de San Diego, le 21 juillet 2011, et sortira dès le lendemain dans les salles obscures, bien aidé par le petit buzz généré la veille. L’accueil critique sera une nouvelle fois plutôt positif, probablement parce que, comme pour Thor, personne n’en attendait vraiment grand chose, mais sans doute aussi parce que le film a réussi, contre toute attente, à moderniser un personnage au concept pourtant vieillot. Le principal reproche tient essentiellement au fait qu’en dehors du MCU, le film présente peu d’intérêt. Un syndrome bien réel, conséquence inévitable de ce grand univers partagé. Il récoltera néanmoins la jolie somme de 370 millions de dollars au box office, de quoi renforcer encore la position de plus en plus dominante de Marvel Studios dans le paysage hollywoodien.

Avec le succès de ce Captain America: The First Avenger, Marvel peut attaquer dans la sérénité le dernier gros projet de cette Phase 1 de films inspirés de ses comics maison, le très attendu The Avengers. Un chapitre final auquel on s’intéressera dès la semaine prochaine, avant d’aller faire un tour du côté de la télé, où il se passe aussi pas mal de choses intéressantes en rapport avec le MCU…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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