La saga Marvel Studios, 10ème partie : Thor – The Dark World, toujours charmant le prince ?

Après un premier film, dont le succès avait surpris tout le monde, y compris les pontes de Marvel, le prince d’Asgard rempile pour une nouvelle aventure.  Pour Marvel Studios, il s’agit non seulement de confirmer l’essai, mais aussi de convaincre ceux qui sont venus au MCU par le biais de The Avengers que les franchises solo, autres que celle de Tony Stark, ont également leurs mérites. Le projet démarre pourtant plutôt mal : Kenneth Branagh, qui avait réalisé le premier film, botte en touche. Et personne ne semble vouloir reprendre sa casquette de réalisateur…

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Avril 2011. Avant même que le premier Thor ne déboule dans les salles, on ne perd pas de temps chez Marvel Studios, et on se lance illico dans le développement d’une suite potentielle. Non pas par excès de confiance, mais pour préparer le terrain au cas où le premier film rencontrerait, contre toute attente, un succès public justifiant un deuxième opus. Kevin Feige, le big boss du studio, mandate pour ce faire Don Payne, scribe du premier film, et l’enjoint d’explorer des pistes pour une suite éventuelle.

Comme je vous l’expliquais dans mon article sur Thor, Kenneth Branagh est au départ emballé par l’idée de reprendre le flambeau. Mais après réflexion, en juin 2011, juste après l’annonce de Disney d’une date de sortie pour ce deuxième volet, il fait savoir qu’il préfère se retirer du projet, jugeant l’investissement en temps trop important. Et on le comprend : un film du MCU, c’est en général deux ans de la vie d’un réalisateur, pas vraiment un engagement qu’on prend à la légère.

Coup dur pour Marvel, qui a pris l’habitude de continuer à bosser avec des gens avec qui l’expérience a été positive, et qui doit du coup se mettre en chasse d’un remplaçant au pied levé. Le choix du studio se porte d’abord sur Brian Kirk, réalisateur de télévision, qui a notamment bossé sur la nouvelle série à succès de la chaine HBO, un certain Game of Thrones.

Et ce choix n’est absolument pas anodin : Feige a toujours été très attentif à ce qui passe en dehors de la sphère Marvel, et a su reconnaitre l’indéniable qualité cinématographique de la série, dont l’univers visuel colle en outre plutôt bien avec celui d’Asgard. Malheureusement, en août 2011, les négociations avec Kirk se détériorent rapidement. Et ce dernier retire sa candidature avant même d’avoir signé, invoquant des différences créatives, ce qui est une formulation polie pour dire qu’il ne partage pas du tout les idées du studio. Suivant !

À peine arrivée, déjà Patty

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« Ah, voilà le boss de fin de niveau ! »

Marvel se tourne alors vers Patty Jenkins, surtout connue pour avoir réalisé l’excellent Monster avec Charlize Theron en 2003. Elle est officiellement embauchée en octobre 2011, ce qui fait d’elle la première femme à passer derrière la caméra d’un film du MCU. Pas pour longtemps, cela dit. Après trois mois de boulot sur la préproduction du film, le constat est sans appel : la sauce n’a pas pris non plus et elle quitte à son tour le navire en décembre 2011. Remplacer Branagh s’avère une tâche bien plus ardue qu’anticipée…

Feige revient alors à sa première idée : débaucher un réalisateur de la série GoT, et après avoir un temps considéré le nom de Daniel Minahan, se tourne finalement vers Alan Taylor, qui accepte de relever le difficile challenge. Ouf, Thor: The Dark World a enfin son réalisateur. Ne reste plus à présent qu’à finaliser le scénario.

Robert Rodat, scénariste notamment de Saving Private Ryan, récupère le boulot de Don Payne et s’attaque à une première phase de réécriture. Mais Feige n’est toujours pas convaincu par la trame. Il lui manque quelque chose, mais il n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Il décide alors de faire appel à un duo qui a déjà fait ses preuves (et qui deviendra central dans l’histoire du MCU) : la paire Christopher Markus & Stephen McFeely, déjà auréolée du succès du premier Captain America (et qui ont depuis signé les scénarios des deux autres opus du super-soldat, la série Agent Carter, avant de s’attaquer au monstrueux chantier que représentera Infinity War en 2018).

Pour parvenir à enfin boucler ce scénario qui peine à convaincre la production, les deux hommes ne prennent aucun risque et décident d’appeler à la rescousse Christopher Yost, qui a notamment supervisé l’excellent dessin animé Earth’s Mightiest Heroes (deux saisons, que je vous recommande chaudement), mais également signé de nombreux comics pour l’écurie Marvel. A trois, ils livrent une histoire qui plait enfin à Feige. Après des débuts difficiles et quelques mois de doute, la machine semble enfin se dégripper. En route pour Asgard !

Bien Malekith ne profite jamais

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Alan Taylor tente sans succès de faire jaillir une boule de feu de sa main, devant un Chris Hemsworth médusé (ou circonspect, j’ai un doute).

En juin 2012, la quasi totalité du cast du premier film est confirmée, à l’exception de Joshua Dallas (qui interprétait Fandral dans le premier film), retenu par le tournage de la série Once Upon A Time. Ironie du sort, c’est Zachary Levi, qui avait dû initialement renoncer au rôle dans le précédent film à cause d’un emploi du temps bien occupé par la série Chuck, qui récupère le rôle. Retour de karma pour l’acteur, qui réalise enfin son rêve de gosse : montrer sa bouille dans un film de super-héros.

Pour interpréter le « big bad » du film, Malekith, le leader des Dark Elves, Marvel courtise activement l’acteur danois Mads Mikkelsen. Mais là aussi, manque de bol, il s’est déjà engagé dans un projet télé, la série Hannibal sur laquelle planche Bryan Fuller pour NBC et qui débarquera sur les écrans en 2013. Il se voit donc contraint de décliner l’alléchante invitation. Il intègrera finalement le navire MCU plus tard, pour Doctor Strange (qui devrait arriver dans les salles en novembre 2016), pour le moment dans un rôle inconnu (faites que ce soit Dormammu, faites que soit Dormammu).

La quête d’un acteur pour endosser la tenue du méchant de service se poursuit, et c’est finalement le britannique Christopher Eccleston, surtout connu pour ses prestations dans Shallow Grave et Doctor Who, qui récupèrera le rôle. Et ce n’est pas un boulot de tout repos : la plupart de ses dialogues sont écrits dans la langue inventée pour les Dark Elves, mélange de charabia et de langues scandinaves, principalement du finlandais. Pas facile de véhiculer des émotions dans un dialecte imaginaire. Mais ce n’est pas le genre de défi qui fait peur à Eccleston, bien au contraire.

Game of Thrones : le film

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Il a bien changé le Docteur Who.

Le tournage débute enfin en septembre 2012, un mois plus tard que les prévisions initiales, et les équipes se divisent essentiellement entre Londres et l’Islande, dont les paysages collent parfaitement avec ceux du fictionnel Svartalfheim, le pays des Dark Elves, dans lequel se déroulera une bonne partie du troisième acte. Pour l’anecdote, notons que le directeur photo du film n’est autre que Kramer Morgenthau, bien connu pour son incroyable boulot sur, je vous le donne en mille… Game of Thrones, pardi. Au cas où l’on douterait encore de l’influence de la série sur le film, voilà de quoi apporter un peu d’eau supplémentaire au moulin des coïncidences pas si fortuites que ça.

Sur le plateau, tout se passe sans couac, hormis le malheureux accident de Jaimie Alexander (l’actrice qui incarne Lady Sif). Elle glisse bêtement lors d’une scène de baston et passe à deux doigts de se retrouver paralysée à vie. Heureusement, plus de peur que de mal, et l’incident n’aura finalement aucun impact sur la production. Pas besoin donc de faire appel aux CGI, comme ce fut le cas après l’accident de RDJ sur Iron Man 3. Pour le reste, c’est un tournage somme toute classique pour un film Marvel : tout se déroule en flux tendu, et le scénario subit de nombreuses altérations sur le plateau, toujours sous la supervision du trio Markus/McFeely/Yost.

En août 2013, une partie du cast (principalement Tom Hiddleston) est réquisitionnée pour une séance de « reshoots ». L’occasion pour moi de faire une petite parenthèse sur cette pratique indissociable du « workflow » de Marvel Studios. A quoi servent donc ces fameux « reshoots » dont on entend parler à chaque tournage du MCU ? Souvent, ce n’est qu’une fois sur le banc de montage qu’on se rend compte que certains scènes du film ne fonctionnent pas. Parfois, il ne manque pas grand chose : un plan de coupe, ou une petite scène de transition, d’où l’utilité de ces séances de tournage supplémentaires.

Loki, Episode III

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En cas de doute, mettre plus de Loki est toujours une bonne idée.

Dans le cas de Thor: The Dark World, ces reshoots vont surtout permettre de rajouter des morceaux de Loki dans le long métrage. Comme l’expliquera Feige plus tard lors d’interviews avec la presse, pour lui, ce film est avant tout la troisième partie d’une trilogie consacrée au prince déchu (après Thor et The Avengers). Ce qui rejoint d’ailleurs le sentiment que j’exprimais dans mon papier sur le premier film Thor, où je vous expliquais qu’à mon sens, le film était avant tout une « origin story » de Loki, avant d’être un film sur son frangin blondinet. Voilà donc ce qui manquait depuis le début au scénario : plus de Loki ! Feige est enfin comblé.

Comme sur les précédents films du MCU, ces tournages additionnels seront aussi l’occasion de faire appel aux talents de « script doctor » de Joss Whedon, qui viendra prêter main forte à Taylor pour améliorer plusieurs scènes qui ne fonctionnent pas comme elles devraient. On pense notamment à la scène où Thor et Loki s’échappent d’Asgard en subtilisant un vaisseau de Malekith, ou celle où Thor expose sans pudeur son torse musclé, mais ce ne furent probablement pas les seules. Encore une fois, depuis la phase 1, l’importance du papa de Buffy dans le succès du MCU n’est clairement pas à prendre à la légère. Son empreinte est partout.

La phase de post-production est aussi l’occasion pour la team de bosser sur la fantastique scène d’ouverture du film, relatant la grosse baston qui s’est tenue il y a plusieurs millénaires entre les forces d’Asgard et les méchants Dark Elves. Conscient qu’il va être particulièrement complexe d’en faire quelque chose de dynamique avec des acteurs qui arborent de pesants costumes ne laissant aucune marge de manœuvre, Alan Taylor fait un pari un peu fou : celui de produire ce prologue entièrement en CGI. Et pour réaliser cet exploit, il fait appel à une société que les gamers connaissent bien, les californiens de Blur Studios (à qui on doit notamment les somptueuses cinématiques des titres Warhammer 40k, développés par Relic dans les années 2000). Le résultat est à la hauteur des espérances de Taylor, et permet d’ouvrir le film sur une scène particulièrement épique.

My Tyler is rich

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La scène post-générique du film, réalisée par James Gunn, tease les Guardians of the Galaxy. Un ajout qui a pas mal énervé Alan Taylor, d’ailleurs, qui trouvait qu’elle n’avait pas trop sa place dans son œuvre (pour paraphraser poliment). ¯\_(ツ)_/¯

Côté bande-son, Marvel avait initialement jeté son dévolu sur un gros calibre de la profession, Carter Burwell (un habitué des films des frères Coen, excusez du peu). Mais là aussi, des « différences créatives » amèneront le compositeur à se détacher du projet, remplacé au pied levé par Brian Tyler, qui avait déjà signé l’excellente BO d’Iron Man 3, et qui produira ici ce qui est sans conteste une des meilleures bandes originales du MCU depuis l’intouchable boulot d’Alan Silvestri sur The Avengers. Si, si… Réécoutez-la : elle est de toute beauté, comme dirait l’autre, avec des motifs de qualité, et un côté grandiloquent qui sied parfaitement à l’œuvre.

Après des débuts un chouïa difficiles, le chantier arrive enfin à son terme, et la première du film se déroule au Odeon Leicester Square de Londres le 22 octobre 2013 devant un parterre de fans enthousiastes. Le film fera un meilleur score que son prédécesseur au box office (650 millions de dollars récoltés pour un budget initial de 170 millions), succès qui n’est sans doute pas à imputer à une plus grande qualité scénaristique (je continue personnellement de lui préférer le premier, et de loin), mais bien à ce qu’on pourrait appeler « l’effet Avengers », qui va amener toute une frange du grand public à s’intéresser au MCU, après une Phase 1 de films qui était en grande partie passée sous leur radar.

La critique sera en revanche plus mitigée, même si globalement positive. Là aussi, on peut pointer du doigt la responsabilité du crossover de Joss Whedon, qui a sans conteste relevé d’un gros cran le niveau des attentes. Depuis le carton plein de The Avengers, Marvel n’est plus vu comme un outsider dont on s’émerveille aussi facilement, et à qui on pardonne sans trop de difficulté le moindre faux pas (*tousse* Iron Man 2 *tousse*). Marvel joue désormais dans la cour des grands, et en tant que nouveau chef de file du blockbuster US, la Maison aux Idées se doit désormais de maintenir un certain niveau qualitatif pour continuer d’être adulée. Ah, ce méchant revers de la médaille.

Des attentes encore plus grandes planent d’ailleurs sur le deuxième opus des aventures de Steve Rogers, Captain America: The Winter Soldier, dont la sortie est prévue pour avril 2014. Car après avoir introduit le personnage dans un film pseudo-historique dont la majeure partie se déroulait dans les années 40, il faut désormais finir de l’intégrer à notre époque moderne. Et pour le coup, la pression est énorme. Bref, à chaque nouveau long métrage qui cartonne, Marvel est de plus en plus attendu au tournant. La base de fans grandit, mais avec elle, celle des haters également, espérant le couac à chaque nouvelle sortie. Le prochain long métrage sera-t-il celui-là ? Vous l’avez deviné : ça, ce sera pour la semaine prochaine 2016, parce qu’il parait que ce sont les vacances, un peu…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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