La conspiration des nombres premiers : une organisation pas si aléatoire que ça

Deux mathématiciens auraient découvert un motif dans la manière dont sont organisés les nombres premiers. Une trouvaille qui semble contredire le consensus actuel selon lequel la succession de ces nombres parmi les entiers ne répondraient a priori à aucune règle.

Robert J. Lemke Oliver, Kannan SoundararajanDepuis leur découverte, à l’aube de notre civilisation (bien avant l’écriture d’après certains), les nombres premiers n’ont eu de cesse de fasciner les mathématiciens. Petit rappel d’usage si vous aviez séché les cours sur le sujet : un nombre premier est un nombre qui n’est divisible que par 1 et par lui-même (donc 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, etc.). D’ailleurs, c’est jusqu’ici la seule certitude inébranlable qu’on possède à leur sujet. Le reste n’est pour l’heure que conjecture, même si les hypothèses à leur sujet ne manquent pas (lire également cet excellent récapitulatif de Business Insider).

Ce qui n’empêche pas les matheux du monde entier (plus spécifiquement ceux de la branche qui s’intéresse à la théorie des nombres) de fantasmer sur ces nombres premiers depuis des siècles, et de tenter de démontrer que sous une apparente organisation aléatoire se cachent en réalité des motifs qui régissent leur distribution. Malheureusement, pour le moment, c’est un échec.

Mais on a peut-être une nouvelle piste à explorer : deux chercheurs de l’Université de Stanford, Kannan Soundararajan et Robert Lemke Oliver, pourraient en effet avoir mis à jour une propriété encore inconnue de ces nombres, propriété qui tendrait à prouver que les premiers ne se suivent pas forcément de manière complètement imprévisible.

Schématisons pour mieux comprendre : hormis 2 et 5, tous les nombres premiers se terminent soit par 1, 3, 7 ou 9 (en base 10, en tous cas). Ce qui fait donc statistiquement 25% de chances pour chaque premier d’être suivi par un autre premier se terminant par un de ces 4 chiffres. Or il se trouve qu’après avoir étudié le phénomène, Soundararajan et Lemke Oliver ont constaté que cette probabilité n’était pas aussi systématique (constat qu’ils ont reproduit sur d’autres bases, notamment en base 3).

D’après leurs calculs (réalisés via une simulation informatique), ils ont pu mettre en évidence qu’un nombre premier qui se termine par 1 aurait en réalité 18% de chances d’être suivi par un autre premier se terminant également par 1, 30% par un 3 ou 7 et 22% par un 9. En gros, comme le résume Oliver : « les nombres premiers n’aiment vraiment pas se répéter ». Ce comportement non aléatoire semblerait donc confirmer l’existence de motifs.

Une découverte qui a pour le moins secoué la communauté des mathématiciens et pourrait remettre en cause la conviction selon laquelle les nombres premiers auraient de facto un comportement et une répartition aléatoires.

Quant aux applications de cette découverte dans la vie de tous les jours, ne tournons pas autour du pot : il n’y en a a priori aucune. Même si les nombres premiers sont au centre du chiffrement RSA, la découverte potentielle de motifs ne met pas en péril la sécurité qu’offre une telle cryptographie asymétrique, et ne la fera pas non plus progresser.

En revanche, il s’agit sans doute d’un pas important vers une meilleure compréhension des nombres premiers et de leur singularité. Comme le résume le Professeur Granville, théoricien des nombres à Université de Montreal, dans une déclaration faite à nos confrères du New Scientist : « [Avec une telle découverte], on peut se demander : qu’avons-nous loupé d’autre à propos de nombres premiers ? ». La fascination n’est pas près de s’arrêter…

Source : arXiv.org (via Quanta Magazine).