Star Citizen Forever

Ce week-end se déroulait à Los Angeles la CitizenCon, la “grande” convention qui était censée dévoiler Squadron 42 et rassurer les fans de Star Citizen. Au lieu de ça, après plus de 4 ans de travail et avec un budget d’environ 130 millions de dollars, Chris Roberts et sa team ont passé plus de deux heures à dérouler ce qui était principalement une présentation Powerpoint. Des listes de fonctionnalités, des dates, des promesses par dizaines qui sonnent encore plus creux qu’un discours de politicien véreux. Entre liste d’envies au Père Noël et démos à la crédibilité douteuse, cette présentation laisse un gout amer et donne des munitions aux détracteurs de RSI / CIG, qui n’en demandaient pas tant.

Star Citizen Ship

Plus le temps passe et plus Chris Roberts ressemble à un “télévangéliste”, pour reprendre le mot de nos amis québécois. Il prêche la bonne parole de Star Citizen, qui ne va pas tarder à guérir le cancer au train où ça va, devant un parterre de fans qui n’hésitera pas à venir mettre le feu à votre forum si vous osez émettre un doute sur l’authenticité des prophéties du grand manitou. Honnêtement, on est plus dans le domaine de la secte que dans celui de la religion classique, ce qui est une progression logique pour continuer à avoir la foi dans ce projet en 2016. Si vous débarquez d’une longue hibernation, vous pouvez vous mettre à la page sur l’historique de Star Citizen en lisant les excellents articles de Kotaku UK (1 / 2 / 3 / 4). Oui, c’est long, mais après plus de quatre ans de développement, tenter de faire le tri pour comprendre où en est réellement ce jeu est une mission délicate. Et la convention de ce week-end ne permet pas vraiment d’y voir plus clair et certainement pas de se rassurer.

La valse des dates

Seule certitude, Squadron 42 ce n’est pas pour 2016. Ce qui ne surprendra absolument personne vu que rien n’a été montré sur le sujet. Pas une mission ou une once de gameplay à se mettre sous la dent depuis l’annonce. Nous avons eu des vidéos en images de synthèse, des interviews d’acteurs, mais rien de concret sur le jeu lui-même. À tel point qu’il n’y a pas de nouvelle date officielle. 2017 semble être intenable, les sources internes parlant d’un chantier dont on vient à peine de poser l’échafaudage incomplet et en kit au sol. Une description qui contredit fortement le discours d’Erin Roberts, cheville ouvrière du projet et frère du rêveur en chef. Pour lui, il ne manque que quelques animations pour que tout soit parfait et ils ne voulaient pas montrer une séquence décevante à cause de ça. Pourquoi ne pas se mouiller et annoncer une date si c’est réellement le cas ? Un indice : Chris déclare au même moment qu’aucun des 28 chapitres prévus (une soixantaine de missions) n’est proche d’être finalisé. Mettez-vous d’accord messieurs…

Ce qui est plus qu’inquiétant c’est que Squadron 42 est censé être la partie “maîtrisable” du projet. Des missions rigides, un scénario fixe, de quoi permettre de cacher la misère si la tech ne suit pas. Visiblement, ça n’aura pas été suffisant.

SC Dev Talk

Comme souvent, impossible de savoir si ce post émane vraiment d’un développeur de chez CIG. Mais il est crédible et peu rassurant…

Consommation de dollars

Pourquoi continuer d’annoncer la sortie de Squadron 42 et l’alpha 3.0 de Star Citizen en 2016 pendant la Gamescom de Cologne si c’est pour atomiser ces dates deux mois plus tard ? Chris Roberts a-t-il toujours du mal à réaliser que ses équipes de devs n’ont pas de pouvoirs magiques ? Que certaines de ses demandes sont infaisables même de nos jours ? Il faut se rappeler qu’il a déjà fait le coup de la folie des grandeurs pendant le développement de Freelancer, dont il se fera éjecter…

SC - Chris Flamberts

Il est temps de reviser la notion de burn rate pour Chris Roberts.

Mais tous ces retards ne sont pas importants si le jeu final est magistral. C’est généralement ce que vous diront les fans quand on pointe du doigt les mensonges de RSI côté dates et features. Et ils ont raison. Malheureusement , ils oublient un petit détail : ces retards coutent des millions chaque mois. C’est là que le sujet devient plus que délicat. Avec 127 millions de dollars dans les caisses aux dernières nouvelles, on pourrait penser que c’est un faux problème. Qu’il y a assez pour terminer le jeu. A priori, c’est loin d’être le cas. L’argent aurait été dépensé sans compter depuis le départ et si vous lisez les articles-fleuves de Kotaku UK linkés plus haut, il n’est pas difficile de voir à quel point le gâchis est colossal. Gardez en tête que RSI c’est actuellement 363 personnes réparties sur 4 studios : une petite fortune qui s’évapore tous les mois.

Ça explique aussi pourquoi RSI s’est engagé dans une marche forcée pour vendre des vaisseaux qui n’existent que sous forme de JPEG, à des prix exorbitants (750 dollars pour le dernier en date, le Polaris). Des vaisseaux dont les capacités et rôles dans le jeu sont sujets à variation. Sans parler du fait que la plupart n’existent toujours pas dans l’Alpha, des mois après leur mise en vente. Ces Concept Sales sont pointés du doigt par certains comme étant des arnaques pour maintenir la société à flot. Des allégations qu’il est impossible à prouver à notre niveau. En revanche, un minimum de bon sens devrait suffire pour réaliser qu’investir sur du “virtuel de virtuel” n’est pas forcément une bonne idée… Mais si vous avez peur de rater le pack Polaris + assurance à vie pour “seulement 900 dollars”, faites-vous plaisir. Chris Robert le dit lui-même : c’est « simplement » une forme de Patreon ! À ce prix là, j’espère que les acheteurs donnent aussi (beaucoup) aux associations caritatives….

Star Citizen - Polaris

« 900 dollars avec l’assurance ! C’est cadeau ! »

Si vous lisez ça d’un oeil distrait en suivant l’aventure Star Citizen de loin, vous devez vous dire que “personne n’achète ça, c’est impossible !” Et je vous répondrais que CIG devrait terminer 2016 en ayant “gagné” 34 millions de dollars de plus, sans rien vendre de concret. Le bon sens n’a plus la côte ces temps-ci, vous n’avez qu’à regarder le journal télévisé pour vous en rappeler…

L’art de la démo

Star Citizen - Forum

Le nouveau forum et les outils associés : pratiquement 30 minutes de présentation. On appelle ça « meubler » non ?

Sur les 2h12 de show de cette CitizenCon 2016, une seule partie mérite de lever un sourcil : la présentation de la tech de génération procédurale de planète et de l’éditeur qui permet aux artistes de retoucher ces dernières pour y ajouter des éléments supplémentaires pour personnaliser le tout. C’est intéressant, mais pas totalement nouveau. Elite Dangerous le fait déjà dans les grandes lignes, et on peut en profiter depuis mars dernier. Ce qui est unique, sur le papier, c’est que Star Citizen annonce gérer tout ça de manière transparente : on passe de l’espace à la surface de la planète sans chargement et cette dernière est censée bénéficier de bien plus de détails que les cailloux d’Elite. Le tout avec le moteur CryEngine, absolument pas fait pour ça, ce qui oblige les équipes de CIG à recoder des morceaux entiers. Et malgré ça, la distance de vue des objets au sol était loin d’être impressionnante…

La dernière fois qu’on ma promis ce genre de chose, ça s’appelait Black & White et Peter Molyneux était tout fier de son zoom arrière qui passait d’un ver sortant d’une pomme à une visualisation du continent. On connait la suite et sait à quel point le bon Peter a bien géré le virage Kickstarter de son côté… Et on ne parle que d’un fiasco à 750 000 dollars ! Mais pour revenir à SC, le problème c’est que toute cette démo était totalement scriptée. C’est la norme pour ce genre de show, sauf quand on s’en sert comme d’un outil / d’une preuve pour faire croire que la tech est “pratiquement là”, histoire de rassurer les fans qui font vivre la société.

On passera sur le traveling caméra totalement scripté pour découvrir la planète : tout pourrait être en pré-calculé après tout… Il n’y a aucune interaction, aucun moyen de le savoir. Le mec qui fait coucou sur la montagne ne prouve rien et le changement de plan en arrivant sur le vaisseau permet de camoufler la supercherie facilement pendant la présentation live en switchant discrètement sur l’affichage temps réel du PC. On les soupçonne d’avoir déjà abusé de ce genre de mascarade pendant les présentations Gamescom. Mais passons.

Tout le reste de cette séquence aérienne ne montre rien de révolutionnaire, à part prouver si besoin était que le modèle de vol est toujours aussi catastrophique et que les travaux en cours pour le modifier auront du mal à corriger le tir. La physique reste problématique dans tout le jeu, qu’on soit à pied, en véhicule terrestre ou en vol. Alors que c’est la base de tout et que ça devrait être un point réglé depuis des années… Mais passons.

Le passage en buggy, encore vaguement inspiré d’Elite (comme un paquet de choses aperçues dans la présentation Powerpoint) culmine avec une embuscade par des copies de Tusken Raiders de Star Wars, une tempête de sable et l’arrivée d’un sandworm qui se croit encore sur Dune. Niveau originalité de la direction artistique, c’est le zéro absolu, on nage dans les fantasmes de gosse de Chris Roberts, qui est encore bloqué en 1999 à s’émerveiller des changements de musique dynamique. Et ces quelques minutes révèlent beaucoup de problèmes. Dans le lot :

  • Absence d’IA sur les raiders qui sont totalement (mal) scriptés.
  • Les roues du buggy ne touchent pas le sol.
  • Pendant la tempête de sable : le développeur aux commandes de la démo ne se retourne jamais vers elle et focus sur trois bouts de tôle qui s’envolent. Pour éviter de montrer qu’ils ne gèrent pas l’arrivée de la tempête sur le joueur ?
  • Retour à une scène scriptée / précalculée dès la 2ème vague de raiders juste avant le sandworm ? Après son apparition, on voit également la console se lancer (!) et la caméra entame un zoom arrière clairement scripté, comme pour l’intro.

Le dernier jeu à avoir osé la référence Dune / ver des sables, c’est No Man’s Sky. Et on sait tous comment ça c’est terminé. Mais passons !

Au moment de boucler cet article, cette vidéo est sortie. Elle met en lumière encore plus de choses suspicieuses. Elle s’attarde sur des détails qui nuisent à sa crédibilité, mais on retrouve l’essentiel de ce que j’avais repéré. Et tout ça montre que si on garde son sens critique, cette démo est loin de convaincre…

Star Citizen Multi

Je n’ai pas parlé des problèmes réseaux de Star Citizen, mais aux dernières nouvelles, ce “MMO” ne gère que 24 joueurs par sessions et nous n’avons aucune indications de ce que ça représente en termes de taille de zone et comment CIG compte gérer tous les problèmes autour de ce “détail”… On parle de refaire toute la couche réseau du CryEngine 3 (on en est au 5). Un chantier de plus pour CIG.

La culture de l’excuse

SC - Dates

Les dates et les prévisions de CIG / RSI : toujours très « amusant », rétrospectivement…

Si je répète les “mais passons” sur ces derniers paragraphes, c’est parce que les défenseurs de Star Citizen sont capables de botter en touche n’importe quel argument. Ils auront une explication ou une excuse sur chaque problème relevé. Un mécanisme qu’on connait bien en politique et qui permet aux pires escrocs de continuer leur parcours sans trop de problèmes. C’est beaucoup plus rare dans le jeu vidéo, et même s’ils sont toujours dans le coin, les John Romero (Daikatana), George Broussard (Duke Nukem Forever), Peter Molyneux ou Richard Garriott (Tabula Rasa) – pour ne citer que les plus connus – ont vu leur carrière sérieusement amochée après leurs plus gros fiascos.

Ce qui sauve Chris Roberts dans cette histoire, c’est que les gens ont visiblement oublié la catastrophe qu’a été le développement de Freelancer, qui l’a plus ou moins forcé à se diriger vers le cinéma, avec le succès que l’on connait… Star Citizen suit exactement le même chemin, sans aucun éditeur pour servir de garde-fou. Et si vous pensez que c’est génial, que du coup sa créativité n’est pas bridée, vous avez presque raison. Mais j’espère que vous aimez Elite Dangerous, parce que ça sera peut-être le seul jeu du genre dont vous pourrez profiter de votre vivant ! Car si les choses ne s’arrangent pas rapidement – avec par exemple un Squadron 42 à la hauteur qui se vend assez bien pour remplir les caisses – Star Citizen sera certainement à court de dollars avant d’être à court d’idées.

Star Citizen - Star Marine MIA

Bha… Et Star Marine ? Allo ? Ah non, rien, aucune vraie info sur le module FPS…

 


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