Doomed : chronique d’un fiasco prémédité

Entre les Fantastic Four et le grand écran, ça n’a jamais vraiment été le grand amour. Qu’il s’agisse des deux dispensables premiers films, produits par la Fox en 2005 et 2007, ou du reboot tout aussi navrant de 2015, la famille iconique de Marvel n’a jamais vraiment été gâtée par le septième art. Mais saviez-vous que cette histoire difficile avait en réalité commencé dès 1994, sous l’égide du producteur Roger Corman, avec un long métrage qui ne vit jamais le jour ? C’est l’histoire que se propose de nous conter Doomed, un documentaire qui s’attarde sur l’histoire presque invraisemblable de ce film devenu culte.

Fantastic Four

Surnommé le « pape du cinéma », Roger Corman est, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, une véritable légende du milieu : producteur, réalisateur et acteur indépendant américain plutôt prolifique, il est en activité depuis les années 50 et son nom est associé à un paquet de films mythiques (souvent à petit budget) comme The Little Shop of HorrorsThe Terror ou encore House Of Usher (basé sur l’oeuvre de Poe).

Au début des années 90, Corman va croiser la route de Bernd Eichinger, un producteur allemand qui possède dans sa besace les droits d’adaptation des comics Fantastic Four, droits qu’il a payé à Marvel une bouchée de pain quelques années auparavant (on estime le prix de la transaction à un ridicule 250.000 dollars).

Malheureusement pour Eichinger, ce deal avec la Maison des Idées est également assorti d’une deadline : pour conserver la jouissance de ces droits, Neue Constantin (la société de production d’Eichinger) doit absolument boucler un film avant la fin de l’année 1992, sans quoi le deal devient caduque. Comme le temps presse et que rien n’est encore en chantier, Eichinger demande d’abord une extension du contrat à Marvel, qui refuse, mais précise néanmoins qu’il n’est pas non plus « obligé d’en faire une grosse production ». Un détail qui ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd…

Fantastic Four

Ah, c’est sûr que comparé à ça, The Thing version Chiklis fait tout de suite moins pitié.

La suite de l’histoire, on la connait : en septembre 1992, Eichinger recrute Corman et lui propose de produire le film pour un budget risible d’un million de dollars, pas un centime de plus. Tourné en une vingtaine de jours, le film n’aura jamais vraiment pour vocation de sortir dans les salles, malgré tout ce qu’on fera miroiter aux acteurs et aux équipes de tournage. L’idée, c’est juste de produire quelque chose pour ne pas perdre les droits.

Une fois bouclé, le long métrage ne verra donc jamais le jour, même s’il existe aujourd’hui une copie finalisée du projet qui circule sous le manteau et sur la toile (et que je vous invite à découvrir ci-dessous, au risque de me faire taper sur les doigts par papa Eichinger en personne). Vous allez voir, comme tous les désastres, c’est irrésistiblement fascinant à observer…

En véritable fan du film, le producteur Marty Langford a voulu rendre hommage à cette « pépite » méconnue de l’histoire du cinéma, en lui consacrant un documentaire qu’il a pu produire grâce à une campagne de crowdfunding rondement menée. Parce que pour Langford, le film n’est sans doute pas aussi mauvais qu’on pourrait le penser…

Ils n’avaient pas le budget pour des effets spéciaux et ne pouvaient pas engager des pointures. Ils ont dû se reposer sur une histoire simple. [Les autres films] se concentrent sur l’action et sur les scènes de grande envergure. Il faut en faire une histoire sur la famille, pas sur l’annihilation cosmique. Je pense que c’est ce que le film de Corman a réussi et que les trois autres ont loupé. (Marty Langford, interviewé par The Hollywood Reporter)

En chantier depuis 2013, Doomed, véritable déclaration d’amour à ce projet invraisemblable, vient donc enfin de voir le jour, pour la plus grande joie des aficionados de ce nanard ultime.

Le documentaire, sorti mardi, ne semble pour le moment disponible que sur le store iTunes US (au prix de 12,99$). Mais nul doute qu’il devrait prochainement être visible par chez nous, peut-être sur Netflix ou autre service de VOD. On vous tiendra au courant ! Au pire, vous êtes assez grands pour le dégoter dans les recoins sombres de l’Internet. Mais si vous faites ça, pensez à rétribuer l’auteur via son PayPal, il y a un boulot considérable derrière ce projet, et il mérite clairement d’être récompensé.