Cooperation Cup, Street Fighter III: Third Strike frappe encore

Street Fighter III: Third Strike est fascinant. Comment expliquer que, 18 ans après sa sortie, le jeu de combat le plus mal vendu de Capcom bouge encore ? Plus incroyable : il voit sa communauté grandir. En témoigne la Cooperation Cup, tournoi majeur autour de ce titre, qui fêtera ce week-end sa quinzième édition sur l’île d’Odaiba. Près de 455 joueurs, répartis en 91 équipes (un record), vont en découdre pendant deux jours sur une dizaine de bornes Astro City.

Mentionnez Street Fighter III: Third Strike dans n’importe quel forum et vous entendrez toujours les mêmes commentaires à son égard. “Roi du genre”, “chef d’oeuvre de la 2D”, “Street Fighter ultime”, et bien d’autres superlatifs. Ceux-ci ne doivent cependant pas occulter la triste vérité : tout le monde l’adore, mais peu y ont joué.

Dès sa genèse avec New Generation en 1997, Street Fighter III était un pari casse-gueule. Changer la physique de la série et ses systèmes de jeu passe encore. Mais renouveler presque intégralement le casting tenait du sacrilège à une époque où les Dream Matchs se démocratisent. Les fans et la scène compétitive lui ont préféré la série Alpha, plus “Street Fighter” que ce nouvel épisode. Si Second Impact était une bonne suite, on peut aujourd’hui admettre que Street Fighter III avait alors le cul coincé entre deux chaises.

D’un côté, rester un Street Fighter pur jus, rassurant dans sa forme et ses thématiques, tout en conservant une ambiance sonore propre à la série. De l’autre l’envie (certains diront la nécessité) de renouveler un casting plus vraiment dans l’air du temps. Pour tout un tas de raisons allant de l’excès de zèle à l’incapacité à sentir la mode du moment, la sauce n’a pas pris et Street Fighter III fut délaissé.

The third strike is what counts

street_fighter_III_third_strike_makoto_sprite_anim_scan_lines_02

Third Strike reste encore aujourd’hui le jeu de combat le plus réussi du point de vue de l’animation. Si techniquement elles sont impressionnantes, c’est aussi le charisme exprimé par les détails (comme cette animation de Makoto) qui en fait un standard.

Aussi quand arrive Third Strike en 1999, Capcom prend une décision osée : ne plus s’imposer le carcan historique de Street Fighter. Ne plus prétendre que le jeu est pour un nouveau public. Livrer une nouvelle vision de la série qui serait le produit de son époque. Un jeu épuré des mécaniques superflues, fortement orienté hardcore gamers, pensé pour l’arcade et dont les nouveaux personnages sont parfois à la limite du conceptuel.

Les stages lâchent enfin leurs mises en scène stéréotypées pour des environnements qui mêlent beauté contemplative et paysage de carte postale. La bande originale présente des remix house, drum&bass, hip-hop et même techno des thèmes entendus auparavant. Elle va jusqu’à enchaîner les rounds avec des breaks rythmiques donnant la sensation qu’un DJ mixe en temps réel trois versions du même morceau.

Si les bases du gameplay étaient déjà dans les épisodes précédents, Capcom procède à une épuration de certains concepts et en modifie d’autres. En résulte un jeu simple sur le papier, facile à comprendre dans son concept. Mais dont les mécaniques sont à la fois si dures à maîtriser et si essentielles au jeu qu’il en devient très complexe.

Third Strike achève ainsi sa mue et devient autre chose, une créature hybride portant à la fois l’empreinte de Street Fighter, mais aussi la marque d’un renouveau explosif, à l’expressivité hors normes. Trop pour le public qui ne va pas accrocher. Avec un peu moins de 160 000 exemplaires vendus sur PlayStation 2 et Dreamcast en 5 ans (les chiffres arcade n’étant pas connus), Third Strike est un échec commercial qui fera dire en interne que “Street Fighter ne rapporte plus d’argent.”

Live the legend

Et pourtant, nous voici 18 ans plus tard à toujours discuter, analyser, raconter, découvrir Third Strike. Comment expliquer cette longévité quand d’autres titres plus vendus et classiques comme Alpha 3 ne sont plus si actifs ?

Pour Romain “Yaz” El Hage, participant à la Cooperation Cup et joueur français de longue date, Third Strike vit toujours, car l’histoire lui a donné raison :

Third Strike est aujourd’hui reconnu comme un des meilleurs jeux de combat du monde. Même le créateur de la série Guilty Gear (Daisuke Ishiwatari) considère Third Strike comme le meilleur jeu jamais conçu.

Saluée par tous et pourtant pas à la portée du premier venu, la complexité de Third Strike est rarement vécue comme un frein selon Yaz. Contrairement aux autres jeux, elle confère une aura au titre, elle est un moteur d’engagement. “Quand on commence à rentrer dans le jeu, on devient rapidement addict. On comprend vite ce qui se passe et on veut aller plus loin.”

Une aura qui pour beaucoup est née à l’EVO 2004, quand Daigo réalisa un full parry magistral, mettant en lumière en l’espace de quelques secondes tout un pan des mécaniques de Third Strike, sans qu’il y ait besoin de les expliquer.

“Il est possible que l’EVO Moment soit ancré dans notre mémoire comme quelque chose d’incroyable.” ajoute Yaz. “Quelque chose auquel chacun a envie de participer. Qui ne rêve pas de son EVO Moment ? Peut-être est-ce là l’explication.”

Même si le jeu est aujourd’hui bien connu et exploré, des découvertes ont encore régulièrement lieu sur le titre de Capcom (18 ans après sa sortie, rappelons-le), renforçant son aura de puits technique dont on ne peut voir le fond. Étant avant tout basé sur les décisions de joueur et non l’exploitation de setups garantis, le jeu offre un renouvellement continu qui le rend inépuisable sur le long terme.

Une communauté bienveillante

Ryu Third Strike Artwork

Pour cet épisode, c’est Daigo Ikeno qui s’occupe des artworks, très présents dans le jeu. Remplacé par les modèles 3D aujourd’hui, le dessin était alors un des vecteurs majeurs du charisme d’un personnage. À regarder : une interview parlant notamment de la période Third Strike.

Mais le plus surprenant reste le milieu compétitif, à mille lieues de l’idée que chacun se fait d’une communauté de fans hardcore d’un titre mythique. Dans le petit cercle français du jeu de combat, les joueurs de Third Strike ont la réputation d’être… des gentils ! L’expression qui revient est toujours la même quand on les interroge sur cette réputation : Third Strike, c’est la famille.

À plusieurs milliers de kilomètres de là, Yaz confirme que cette bienveillance est partagée par l’ensemble de la communauté. “Ici, on pousse les joueurs à devenir meilleurs, il y a une volonté d’embrasser les nouveaux. Les organisateurs de la Cooperation font tous les samedis un tournoi dédié aux nouveaux joueurs. Cette nouvelle génération est entraînée par les anciens, et se mesure à ses aînés.”

Si les moyens sont moindres en France, le Stunfest est habituellement le rendez-vous annuel où se retrouvent les joueurs de tous niveaux pour en découdre dans la bonne humeur. Le reste du temps, faute de salle d’arcade, les anciens participent à l’entraînement des nouveaux via Discord et le jeu en ligne. Votre serviteur aura ainsi plus appris en deux mois de jeu sous l’oeil bienveillant d’un ancien qu’en 4 ans de grind solitaire.

Plusieurs générations de joueurs

La Pre-Cooperation Cup, qui a lieu avant le tournoi principal, propose un format original : des équipes de 5 joueurs composées du même personnage. Pour Yaz, ce format est un autre témoin du chaperonnage et de l’esprit compétitif propre au jeu :

On veut savoir qui est le meilleur avec son personnage évidemment ! Lors de la Pre-Cup, des joueurs de légende participent alors qu’ils n’ont plus rien à prouver. Mais ils le font pour permettre aux plus jeunes de les dépasser, pour découvrir qui sont les nouvelles références pour chaque personnage.

Et cela semble porter ses fruits : Shirokuro, joueur de Chun-Li basé à Okinawa où Third Strike ne compte qu’une vingtaine de joueurs, s’est hissé au niveau de Tokyo pour devenir un des meilleurs du monde. Un moyen de séduire de nouveaux équipiers, plus forts, l’année suivante et d’aller plus loin dans l’événement principal, qui compte cette année 91 équipes de 5 joueurs.

Ce vivier vient des quatre coins du Japon et fait croître la communauté chaque année. Un cercle vertueux qui malheureusement peine encore à faire venir beaucoup d’étrangers, essentiellement pour des raisons financières. Yaz est cependant confiant pour le futur de l’événement : “La Coop est le seul événement international motivant sur Third Strike. Je pense que dans les années à venir, le tournoi va exploser son nombre de participants.”

mjcjeunes

Parmi les nouveaux personnages, les plus jeunes ont des origines variées, sont moins sexualisés et sortent des clichés liés à leur nationalité. La plupart apportent un point de vue intéressant sur la conciliation entre leur vie d’adolescent et d’artiste martial, héritier d’une lignée.

Fight for the Future

Il est surprenant de constater que près de 20 ans après sa sortie, l’introduction de la version arcade de Third Strike semble presque raconter l’histoire du titre. Désormais légendaire, sa scène est extrêmement compétitive et sa profondeur de jeu considérée comme sans fin. Ce titre attire continuellement de nouveaux passionnés en leur promettant de devenir une légende et les anciens sont là pour prendre ces nouveaux par la main.

Plus que jamais, la communauté de SF 3.3 applique le conseil qui lui fut donné : se battre pour le futur. Un futur certes sans diffusion sur Canal +, chèques géants bardés de zéros et écrans de fumée. Mais un futur qui, à l’aune de ses vingt ans, promet encore de bien belles bastons.

La Pre-Cooperation Cup commence demain et la Cooperation Cup aura lieu dimanche 8 janvier. Les deux seront retransmises en live sur Twitch, à partir de 2h du matin chez nous. Préparez du café, guettez les replays, mais ne ratez pas ce petit bout d’histoire !

Pour aller plus loin :

 

Le casting de Third Strike est plein d’expérimentation, créant des ovnis tels que Q, ici décrypté par Rufio.

Vous devriez également aimer…