Le Kobo de Rakuten : sortir des Galapagos pour remonter l’Amazon

On a l’impression que l’univers des liseuses numériques se résume par « le Kindle et les autres », en dépit de la concurrence acharnée de tous les constructeurs entrants. Parmi les prétendants à la part du lion sur ce marché (ou ce chantier, c’est selon) du livre électronique se trouve le canadien Kobo, bien connu en France grâce à son partenariat récent avec la FNAC, le plus grand libraire du pays.

Rakuten Kobo

Au lieu d’un énième comparatif technique des terminaux, des formats de fichier et des services associés, regardons plutôt l’entité qui se trouve dorénavant derrière Kobo. Car si ce fabricant est bien d’origine canadienne, l’entreprise a été rachetée en novembre 2011 par le géant japonais Rakuten pour 315 millions de dollars. Au-delà de la success-story d’une startup de Toronto, nous assistons au mouvement stratégique atypique d’un acteur majeur de l’économie numérique japonaise, qui a pour ambition de redonner une place au Japon dans le top de la compétition internationale. Oui oui, rien que ça ! Et Rakuten a quand même de quoi donner des nuits blanches à Amazon, la firme de Seattle…

Rakuten Inc., c’est avant tout le produit de la vision de son fondateur et CEO Hiroshi Mikitani. Demarré en 1997 comme un simple site de commerce en ligne, Rakuten est aujourd’hui un groupe qui génère 4,2 milliards de dollars de revenus (chiffres de 2010) et qui fédère plus de 37 000 boutiques en ligne. Les activités du groupe sont diversifiées au Japon dans des secteurs comme la banque, le voyage (agence en ligne) et même le baseball (OK, l’équipe Rakuten Golden Eagles est arrivée avant-dernière du championnat de 2011, mais quand même…). Si Rakuten est numéro deux de la vente de livres en ligne au Japon derrière Amazon.jp, l’activité totale de commerce online de Rakuten explose allègrement celle de l’américain sur le marché local. Pas mal pour la compagnie d’un ancien employé de banque originaire de Kobe !

Rakuten Ichiba logo

Alors qu’il pourrait se contenter de son royaume nippon, Mikitani décide d’aller chercher aussi sa croissance a l’étranger. En 2008 il rachète un site de vente en ligne taiwanais, puis il multiplie les acquisitions et les joint-ventures aux Etats-Unis (buy.com), en France (PriceMinister.com), au Royaume-Uni (play.com), en Indonésie, au Brésil et en Chine (Baidu). Rakuten fait maintenant partie des dix plus importantes compagnies internet du monde, dans la même catégorie que Google, eBay et bien sûr Amazon.
A la vue des difficultés actuelles des géants japonais de l’électronique comme Sony ou Panasonic, la croissance continue de Rakuten laisse songeur. Peu après l’acquisition par Rakuten de sa société, Le Vice-Président de Kobo déclarait au magazine Wired : « Rakuten est un partenaire parfait pour nous. […] Sony est depuis longtemps dans le marché [des liseuses] au Japon, mais pour etre clair, la seule compagnie que l’on considère comme notre concurrente là-bas, c’est Amazon ». Voilà comment remettre gentiment Sony à sa place, une belle ironie quand on constate que la firme de la Playstation avait justement au départ toutes les cartes en mains (engineering, services en ligne, contenus, présence globale, marketing, distribution etc.) pour créer un standard de ebook concurrent des formules américaines !

Hiroshi Mikitani - Rakuten

Hiroshi Mikitani, 46 ans, diplômé de Harvard, entrepreneur à succès. Japonais.

Le Japon commence à douter de la compétitivité de ses champions traditionnels dans la nouvelle lutte économique mondiale. « Les compagnies japonaises ne peuvent plus continuer à faire ce qu’elles ont toujours fait » explique Mikitani. Dans une entrevue avec le journal de la Chambre de Commerce Américaine au Japon, il dit qu’il est vital pour les fabriquants d’électronique japonais de s’éloigner de leur base « tout hardware » afin de rebondir sur des modèles de type «service d’information plus hardware ». Pour lui, le changement des compagnies japonaises en général doit s’opérer dans deux directions : du domestique vers le réellement global ; et du manufacturier vers le service à valeur ajoutée.
Bien qu’il déplore le manque de perspectives globales des décideurs de son pays, Mikitani est persuadé que les Japonais ont entre leurs mains les avantages compétitifs pour bâtir leurs futurs succès mondiaux. « La seule façon de différencier le pays sera sa propriété intellectuelle et sa culture, y compris la façon de travailler des gens ».

Mikitani est bien conscient des chaînes qui retiennent les Japonais et leur économie dans les anciens modèles. Et à son niveau, il fait tout de manière radicale pour s’en libérer. Un exemple des plus significatifs, Rakuten a décidé que l’anglais doit devenir la langue officielle de la compagnie et les employés sont tenus d’atteindre un certain niveau linguistique standard dans un avenir proche.

Dépassant les enjeux d’un standard global pour l’ebook, et de la compétition face aux leaders américains (Amazon et Apple), le succès ou l’échec du Kobo pourrait devenir un cas d’école sur la capacité du Japon à se réinventer comme une machine économique mondiale adaptée au 21ème siècle. Rakuten montre une voie possible pour ce nouveau Japon et expérimente ce que même les plus grands groupes industriels du pays n’ont jamais osé.

On attend avec impatience de voir le résultat.

Note sur le titre : les journalistes hi-tech se réfèrent au « syndrôme des Galapagos » quand ils parlent de produits japonais qui vivent et se développent bien sur leur marché intérieur, mais qui ne survivent pas à l’export en dehors de leur écosystème d’origine. Exemple typique, les téléphones portables japonais.

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