La saga Marvel Studios, 3ème partie : Hulk, smash !

En parallèle au film Iron Man, dont s’occupe Jon Favreau, le tout jeune studio cinéma de Marvel se lance également dans l’adaptation d’un autre héros emblématique de son catalogue : l’Incroyable Hulk. Un projet qui va démarrer sous les meilleurs auspices, mais malheureusement se terminer avec des portes qui claquent. Autopsie d’un premier couac.

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Après le film Hulk de 2003, signé du réalisateur chinois Ang Lee (Crouching Tiger, Hidden Dragon), et qu’on qualifiera poliment de médiocre, Universal (qui a produit le nanard, pardon, le long métrage) manifeste l’intention de mettre une suite en chantier. Malheureusement pour eux, la pré-production sur le projet s’embourbe et lorsque le studio dépasse la deadline imposée par Marvel, les droits d’exploitation du personnage réintègrent le giron de la Maison aux Idées (Marvel, donc, suivez un peu).

Le timing est parfait. Bruce Banner, et son alter ego colérique, sont en effet essentiels à la mise en place du MCU (et donc de la franchise Avengers) sur lequel planchent les studios Marvel depuis leur création. Du coup, Avi Arad et ses potes proposent à Universal un deal qu’ils ne peuvent pas refuser : Marvel va produire lui-même un nouveau long métrage sur le géant vert, tout en laissant au studio ami les droits de distribution. Il n’est dès lors plus question d’une suite au film de Lee, mais bien d’un reboot. En gros, on planque discrètement le film de 2003 sous le tapis en sifflotant, on efface ce mauvais souvenir et on repart de zéro.

Made in France

hulk_03Pour superviser le projet, Marvel courtise le jeune réalisateur français Louis Leterrier, un protégé de Besson qui a déjà fait ses preuves sur les deux premiers Transporter, mais surtout sur Danny The Dog. Plus que son style nerveux, caméra au poing, c’est surtout son traitement des personnages qui séduit le studio. Mais Leterrier n’est pas chaud. Pensant qu’il s’agit toujours de réaliser une suite, il refuse dans un premier temps cette alléchante proposition de produire son premier blockbuster.

Pour tenter de le convaincre, Marvel se veut rassurant et insiste : il s’agit bien d’un reboot de la franchise, pour lequel le réalisateur aura carte blanche. Mais Leterrier hésite toujours. En son for intérieur, il n’est pas sur d’être à la hauteur et surtout, il aime trop le personnage pour s’engager dans une adaptation qui risquerait de ne pas lui faire honneur. Tiraillé, il demande néanmoins au studio un délai de réflexion. Il en profite pour rentrer en France et pendant deux mois, s’isole avec son pote Stéphane Levallois, dessinateur de BD, pour concevoir plusieurs storyboards dépeignant ses idées de traitement pour le film.

Il envoie ensuite le résultat de son labeur au studio qui lui confirme qu’il est clairement l’homme providentiel qu’ils cherchent. Rien que ça. Flatté, et rassuré, Leterrier accepte finalement, mais à une condition : qu’on le laisse engager quelqu’un pour retravailler le scénario de Zak Penn, qu’il juge un peu faible. Marvel acquiesce. Le projet est sur les rails.

Edward aux mains d’argent

Au même moment, les directeurs de casting du studio tentent de dégoter la perle rare qui incarnera le brave Docteur Banner à l’écran. Tout en haut de leur liste, un certain Edward Norton, qui a jusqu’ici décliné fermement l’invitation. Emballé par l’idée de bosser avec la star de Fight Club, Leterrier tente le tout pour le tout. Il l’invite à déjeuner, et pendant le repas, lui expose avec passion sa vision du film. Entre deux bouchées, Norton hoche poliment la tête, et les deux hommes se séparent finalement sans qu’aucun deal ne soit conclut. Dépité, Leterrier est persuadé qu’il vient de se manger un mur.

Pourtant, quelques jours plus tard, un coup de fil de son agent va créer la surprise : non seulement Norton accepte, mais il est en outre complètement emballé par le projet. Ce que Leterrier ignorait au moment de l’entrevue, c’est que l’acteur est lui aussi un énorme fan du personnage, dont il a dévoré les comics pendant l’adolescence. Et ce qui l’a justement séduit, c’est cette anxiété de Leterrier à vouloir absolument « bien faire » et offrir à Hulk un traitement digne de sa stature. Cerise sur le gâteau : Norton propose de procéder lui-même, avec le réalisateur, à la réécriture du scénario.

Parmi les éléments qui l’ont convaincu : une scène avec laquelle Leterrier envisage d’ouvrir le film, séquence particulièrement sombre durant laquelle Banner tente de se suicider, sauvé in extremis par l’irruption de la créature (une scène qui ne figurera finalement pas au montage final, mais à laquelle fera référence Whedon dans The Avengers). Clairement, on est à mille lieues du traitement d’Ang Lee, et cette volonté de prendre le héros au sérieux va donner à Leterrier une force de persuasion qui va lui permettre de convaincre, outre Norton, d’autres acteurs prestigieux, comme William Hurt ou Tim Roth. Un cast qui transformera tout à coup un projet auquel le public s’intéresse peu en quelque chose de totalement intriguant.

Retour aux sources

hulk_02Pour ce film, Marvel et Leterrier veulent revenir aux bases du comics, et surtout à la thématique de la série télé des années 70 (avec Bill Bixby) : une chasse à l’homme globale, agrémentée de moments d’introspection où le personnage de Banner lutte avec le monstre qui sommeille en lui. Une vision au diapason de celle de Norton. So far, so good.

Le tournage débute en juillet 2007 et d’entrée de jeu, la paire Leterrier/Norton s’y investit corps et âme. Non seulement, le duo procède à de multiples aménagements du scénario (essentiellement des dialogues) entre deux prises, mais Norton va jusqu’à prêter main forte à la société Rhythm & Hues, chargée de donner vie au monstre vert par la magie des images de synthèse.

A ce sujet, il est important de noter que même si Leterrier revendique s’être fortement inspiré du boulot d’Andy Serkis (notamment sur King Kong et sur Lord of the Rings), l’acteur britannique bien connu pour son expertise dans la motion capture n’a, à l’époque, pas encore monté The Imaginarium (son fameux studio qui s’occupera quelques années plus tard de concevoir le Hulk du film The Avengers). Grâce à l’implication de Norton, Rhythm & Hues va néanmoins réussir la prouesse de donner vie de manière relativement crédible à la créature des comics, en s’inspirant notamment des mimiques de l’acteur. De quoi faire oublier la version dispensable de 2003

Jusqu’ici, tout va bien…

hulk_05En dehors de deux incidents relativement mineurs, le tournage se déroule sans anicroche. Bon, Leterrier se casse le pied au tout début de la production, ce qui complique un peu sa gestion des quatre équipes de tournage qu’il a sous sa responsabilité. Et la fin du chantier sera quelque peu perturbée par la saison des pluies qui fait rage au Brésil, où l’équipe du film est supposée tourner d’intenses scènes de poursuite dans les rues étroites des favélas de Rio de Jaineiro. Une tâche plutôt délicate sur un sol humide, vous en conviendrez.

Néanmoins, ces menus contretemps ne réussiront pas à briser la symbiose du tandem Leterrier/Norton. Une entente qui n’est pas sans rappeler celle de la paire Favreau/Downey Jr sur le tournage d’Iron Man, une combinaison qu’on retrouvera également entre James Gunn et Chris Pratt sur Guardians of the Galaxy beaucoup plus tard. Mais ça, on aura l’occasion d’y revenir.

Finalement, avec un chouïa de retard, le tournage se termine et Leterrier peut enfin souffler. Mais pas pour longtemps… Après 24h de relâche, les vrais problèmes commencent, lorsque le réalisateur investit le banc de montage.

Jusqu’ici, les executives de Marvel sont restés très discrets, se contentant de quelques recommandations de-ci, de-là, sans doute pour éviter d’échauder un Edward Norton visiblement très investi dans le projet. Mais une fois le tournage bouclé, les producteurs de la Maison aux Idées reprennent l’ascendant. Ils veulent un film de moins de deux heures, soit une bonne vingtaine de minutes de moins que ce que Leterrier et Norton avaient initialement envisagé.

Et pour respecter ces nouvelles contraintes, il n’y a pas trente-six solutions : il va falloir faire de sérieuses coupes claires. Les premières scènes à finir à la poubelle, forcément, ce sont des scènes de dialogue, jugées trop lentes et contre-productives par les pontes du studio. Inutile de vous faire un dessin : ces scènes, ce sont celles sur lesquelles Norton a beaucoup travaillé…

Edward, smash !

hulk_04Quand il apprend que les costards-cravates de Marvel sont en train de flinguer sa vision du film, l’acteur pète un câble et menace de se désolidariser complètement du projet. Pris entre deux feux, Leterrier temporise mais finit par céder et, résigné, abandonne l’idée de garder le final cut sur le long métrage. Norton est furieux et le fait savoir. A ce moment précis, nul doute que l’acteur rêve secrètement de pouvoir se transformer en monstre vert pour distribuer quelques baffes. Mais Marvel ne cède pas, et allège irrémédiablement le film d’un paquet de scènes jugées inutiles, ou susceptibles de nuire au rythme de l’action.

En représailles, l’acteur refusera de participer à la tournée promotionnelle. Et même s’il montrera sa bouille lors de la première (qui se déroulera le 8 juin 2008 au Gibson Amphithatre d’Universal City), et participera à quelques entretiens malaisés avec la presse, il s’expatriera provisoirement en Afrique pour y remplir une mission humanitaire et ne pas avoir à cautionner un film dans lequel il ne se reconnait plus. Finalement, un peu à l’instar de Banner, Norton préfère s’exiler plutôt que d’avoir à affronter les conséquences du monstre qu’il a engendré malgré lui.

Même pas vrai

La version officielle a bien entendu toujours démenti ces faits, mais il s’agit là d’un secret de polichinelle : Norton voulait le final cut, et ne l’ayant pas obtenu, il a préféré couper les ponts plutôt que d’avoir à tolérer la lourde ingérence de Marvel sur un projet dans lequel il avait tout donné. Son remplacement par Mark Ruffalo pour le film The Avengers semble d’ailleurs confirmer sans trop d’équivoque cette impression.

Au final, le film a plutôt bien marché, totalisant la somme honnête de 265 millions de dollars au box office (pour un cout estimé à 150 millions). Et même si la critique a été plutôt divisée, le film n’est pas foncièrement mauvais. Mais on ne va pas se voiler la face, il est également loin d’être inoubliable. Aurait-il été meilleur sans l’intervention du studio ? Impossible à dire. Norton ne sera en tous cas pas crédité pour son boulot de réécriture…

Une chose est sure, l’incident constitue les prémices du véritable premier gros loupé imputable à Marvel Studios : le tournage calamiteux d’Iron Man II, un film à la production chaotique qui aura presque la peau du pauvre Jon Favreau. Mais ça, ce sera pour la semaine prochaine…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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