La saga Marvel Studios, 9ème partie : avec les Agents du S.H.I.E.L.D., tout est connecté !

Après avoir investi avec succès les salles obscures et conquis Hollywood, Marvel se tourne désormais vers l’univers impitoyable de la télé. Le premier projet à voir le jour : Agents of S.H.I.E.L.D., avec à sa tête un Agent Coulson pourtant déquillé par Loki dans le film The Avengers. Et même si l’on sait que dans l’univers des comics, personne n’est jamais vraiment mort, cette surprenante résurrection va amorcer d’inquiétantes tensions au sein de la Maison des Idées.

Quand Walt Disney signe en 2009 un gros chèque de quatre milliards de dollars pour s’offrir l’éditeur de comics, et désormais acteur incontournable du paysage hollywoodien, la souris aux grandes oreilles ambitionne d’étendre l’expansion du populaire MCU à d’autres médias. C’est dans cette optique que naît en juin 2010 la toute nouvelle division télé de Marvel, pertinemment baptisée Marvel Television.

A sa tête, Disney place Jeph Loeb, vétéran multimédia, ayant touché aussi bien au cinéma (Teen Wolf, Commando), qu’à la télé (Smallville, Lost) mais aussi, bien évidemment, aux comics (Age of Apocalypse, Ultimates chez Marvel, mais également Batman/Superman chez DC).

Dès sa nomination, Loeb ne traine pas et lance immédiatement le développement de plusieurs projets : une série sur l’Incroyable Hulk (auquel fut un temps rattaché Guillermo Del Toro, mais qui ne verra finalement jamais le jour), une autre chapeautée par Melissa Rosenberg sur Jessica Jones (qui migrera plus tard sur Netflix) et enfin, un projet un peu flou, sobrement baptisé S.H.I.E.L.D., relatant a priori les aventures de la célèbre agence, et supposé s’intégrer organiquement dans le MCU global.

Whedon ? Ce nom me dit quelque-chose…

Joss Whedon (à droite) conjurant un sort de résurrection sur l'agent Coulson.

Joss Whedon (à droite) conjurant un sort de résurrection sur l’agent Coulson.

C’est ce dernier projet qui prendra finalement vie en premier lieu lorsqu’en août 2012, ABC fait appel à Joss Whedon (encore lui) pour jeter les bases de la série. Choix logique s’il en est : non seulement le pape des geeks est encore auréolé du succès phénoménal de The Avengers (il vient d’ailleurs de signer pour écrire et réaliser sa suite, Avengers: Age of Ultron), mais il a en outre une énorme expérience de l’univers de la télé, dont il est issu. Au palmarès de Mutant Enemy, sa société de production, on retrouve quelques titres qui ont fait les belles heures du petit écran, comme Buffy: The Vampire Slayer, Angel, Firefly ou encore le très sous-estimé (et pourtant fantastique) Dollhouse.

Mais comme l’ubiquité ne fait pas encore partie de ses talents, et qu’il est par ailleurs très occupé par l’imposant chantier d’Age of Ultron, Whedon se contente d’écrire et de réaliser le pilote de cette nouvelle série, déléguant le boulot de showrunners à son frangin Jed et sa belle-soeur Maurissa Tancharoen (tous deux ayant déjà fait leurs armes sur Dollhouse et la merveilleuse web-série Dr. Horrible), flanqués de Jeffrey Bell, un autre vétéran aguerri du petit écran (The X-Files et Angel).

La série est officiellement annoncée en avril 2013, avec un nouveau titre définitif : Marvel’s Agents of S.H.I.E.L.D. Le pitch est révélé et annonce qu’on y suivra les aventures d’un petit groupe d’agents investiguant les phénomènes étranges aux quatre coins de la planète. Vaste programme. Les premières infos de casting commencent à filtrer, et parmi les acteurs annoncés, on s’étonne de voir apparaître en tête de liste le nom de Clark Gregg. L’acteur incarnait en effet le sympathique Agent Phil Coulson dans les films de la phase 1, mais son personnage est officiellement défunt dans la continuité du MCU depuis que Loki l’a nonchalamment embroché au bout de son sceptre.

#CoulsonLives

Skye. Ou plutôt Daisy. Enfin, Quake, quoi (oui c'est compliqué le MCU parfois).

Skye. Ou plutôt Daisy. Enfin, Quake, quoi (oui c’est compliqué le MCU parfois).

Ce bon vieux Phil ne serait donc finalement pas mort ? La campagne de marketing qui entoure le lancement de la série, articulée autour du hashtag #CoulsonLives ne laisse aucun doute à ce sujet. L’annonce surprend, certes, mais pas tant que ça au final : s’il y a bien une chose que les fans de comics savent, c’est que dans ces univers de fiction, personne ne passe jamais définitivement l’arme à gauche. Depuis toujours, les scénaristes n’ont cessé de rivaliser d’astuce pour ressusciter des personnages qu’on croyait pourtant perdus pour la cause.

A l’heure actuelle, on ignore toujours ce qui a motivé la décision de faire revivre Coulson, ou même de qui elle émane (a priori pas de Whedon), mais nul doute qu’elle est liée d’une part à la popularité du perso dans les films, mais aussi à la volonté de Marvel Television de créer un lien fort avec le MCU ciné sans avoir recours aux gros calibres hors budget que sont RDJ et ses petits camarades. Qu’il soit a priori mort ne leur pose pas vraiment de souci, Whedon et sa troupe se disent même que ça fera un fil rouge plutôt cool pour alimenter la première saison.

Sauf que ce choix risqué de faire revenir Coulson va avoir des conséquences imprévues et marquer le début d’un schisme entre le pôle ciné et le pôle télé, source de dissensions qui iront crescendo jusqu’à atteindre un point de potentiel non-retour début 2015, quand Marvel Studios s’émancipera de la tutelle de la maison-mère et prendra définitivement ses distances avec Marvel Television. Mais ça, on aura l’occasion d’y revenir. Pour l’heure, recentrons-nous sur la série…

L’ambition de Whedon, c’est avant tout d’en faire une histoire indépendante et périphérique aux événements des films, quelque chose de plus « humain », moins « grand spectacle » et plus ancré dans le quotidien des agents du SHIELD que dans les conflits interplanétaires. Le gros challenge pour lui et sa team, c’est de réussir à contenter à la fois les fans de l’univers ciné et comics (qui attendent des liens forts entre la série et les autres médias), mais aussi de séduire un nouveau public, pas forcément sensible au matériau de base.

Civil War

Les chiffres d'audience de la sérié à ses débuts, allégorie.

Les chiffres d’audience de la sérié à ses débuts, allégorie.

Et ce n’est bien entendu pas la seule difficulté du projet : Marvel Studios ayant toujours la priorité sur le « lore », la télé devra donc se contenter des miettes que Kevin Feige et sa troupe daignent leur laisser. Ce qui va s’avérer particulièrement problématique durant les 3/4 de la première saison. Un gros « reveal » autour du retour d’Hydra est prévu pour la sortie de Captain America: The Winter Soldier et en attendant, Whedon et ses potes doivent temporiser comme ils peuvent, sans jamais pouvoir faire allusion à l’organisation historique.

En lieu et place, nos agents du S.H.I.E.L.D. affrontent une nouvelle entité malfaisante, Centipede, complètement inconnue au bataillon. Le show balbutie, s’embourbe quelque peu dans une structure procédurale et au final, peine à convaincre. Une série sur des super-héros sans capes et pantalons de spandex ? Mais de qui se moque-t-on ? Je schématise, mais c’est en gros le principal reproche qui lui sera fait durant ses premiers mois d’existence.

Ajouté à l’absence de héros présents dans les films (en dehors d’un rapide caméo de Nick Fury à la fin du deuxième épisode), et malgré quelques allusions (parfois un peu gratuites) au MCU ciné, la série a du mal à trouver sa place dans le cœur des téléspectateurs. Durant cette laborieuse première saison, AoS peine non seulement à convaincre les fans du MCU de sa pertinence, mais elle ne parvient pas non plus à accrocher de nouveaux aficionados. De nombreux oiseaux de mauvais augure annoncent même sa mort prématurée, mais contre toute attente, ABC fait le forcing et étend la commande initiale de 13 épisodes à une saison complète qui en comportera 22.

Des bas et des hauts

Après avoir failli incarner Wonder Woman et Gamora, Adrianne Palicki décroche finalement le rôle d'une autre femme célèbre des comics : Bobbi Morse, alias Mockingbird.

Après avoir failli incarner Wonder Woman et Gamora, Adrianne Palicki décroche finalement le rôle d’une autre femme célèbre des comics : Bobbi Morse, alias Mockingbird.

Ce qui n’empêche pas les chiffres d’audience de s’éroder, lentement mais sûrement, malgré un démarrage en fanfare (12 millions de péquins devant leur petit écran pour le pilote, meilleure démarrage de série dramatique depuis 2009). Les perspectives d’un renouvèlement en deuxième saison semblent bel et bien compromises. D’autant que la série coûte cher, certes moins qu’un Game of Thrones, mais 14 millions de dollars claqués rien que pour le pilote, c’est beaucoup pour une entité comme ABC.

Tout va changer à partir du 16ème épisode, judicieusement intitulé End of the Beginning. En effet, côté ciné, la trame de Captain America: The Winter Soldier vient de révéler qu’Hydra, la Némésis historique du S.H.I.E.L.D. qu’on pensait disparue, est toujours en activité, infiltrée parmi les rangs de l’agence. Ce tie-in libératoire va permettre à la série de prendre réellement son envol, avec un « big bad » enfin ancré dans l’héritage des comics.

Je pense que les gens du ciné étaient un peu agacés par la série. Ils étaient du genre à dire : « Vous pouvez avoir ceci, mais pas ça. Et ceci, mais pas ça. » C’était déjà compliqué en soi sans que j’en rajoute encore une couche. On a tout de même créé une série télé qui s’appelle S.H.I.E.L.D. juste avant qu’ils ne fassent un film où ils le détruisent. Donc, bon, tout le monde était aux anges ! (Joss Whedon, dans une interview accordée à IGN en avril 2015)

A partir de là, la série va tout à coup regagner l’attention de ceux qui l’avaient initialement délaissée, et convaincre ceux qui s’étaient accrochés qu’ils avaient bien eu raison de le faire. Elle se permettra même par la suite d’introduire de nouveaux éléments majeurs du MCU, avant même que le pôle ciné n’ait eu l’occasion d’en faire mention, comme les Kree (qu’on découvrira par l’entremise de Ronan dans Guardians of the Galaxy) ou les Inhumans (dont le long métrage ne déboulera dans les salles obscures qu’en juillet 2019).

Un Mack, et ça repart

Durant la deuxième saison, la série grille la politesse au pôle ciné en introduisant pour la première fois les Inhumans dans le MCU (ici, Raina, incarnée par Ruth Negga).

Durant la deuxième saison, la série grille la politesse au pôle ciné en introduisant pour la première fois les Inhumans dans le MCU (ici, Raina, incarnée par Ruth Negga).

Après des débuts difficiles, Agents of S.H.I.E.L.D. va enfin trouver sa place dans le paysage télé, se dégoter un public de plus en plus nombreux et dévoué. Le passage d’un traitement procédural à une narration sur la longueur, l’ajout de nouveaux membres à l’équipe en début de saison 2 (et plus particulièrement les excellents Lance Hunter, Mack et Bobbi Morse), ainsi que l’arrivée d’une plume de qualité, celle de Drew Z. Greenberg (encore un membre de la clique Whedon depuis les débuts de Mutant Enemy), contribueront à confirmer ce nouveau statut. La série a tellement repris du poil de la bête qu’elle est non seulement reconduite pour une deuxième et troisième saisons, mais suscite désormais des envies de spin-off chez les pontes d’ABC : une série baptisée Most Wanted, axée autour du couple Hunter/Morse, est en développement actif depuis août dernier, mais on ignore encore pour le moment quand elle verra le jour.

Toujours est-il que plus le temps passe, plus le fossé semble se creuser entre les pans ciné et télé du MCU. Le fameux #ItsAllConnected qu’avait martelé Marvel au tout début de la série semble désormais bien loin. Un sentiment renforcé tout récemment par l’absence incompréhensible de la Stark Tower du paysage New Yorkais dans la série Jessica Jones sur Netflix. D’ailleurs, pour Whedon, ces deux univers, bien qu’intrinsèquement connectés, déroulent en réalité des narrations distinctes :

En ce qui me concerne, dans les films, oui, Coulson est mort. Dans l’histoire des Avengers, sa perte était très importante. Quand j’ai créé la série télé, c’était en quelque sorte sur base du consensus que cela pouvait fonctionner et qu’on pouvait le faire avec intégrité, mais ces films Avengers sont pour les gens qui vont voir des films Avengers, et rien d’autre. Et cela n’aurait aucun sens, ni même ne serait utile, de dire « Oh et au fait, vous vous souvenez de moi ? J’étais mort ! »

Un point de vue tout à fait compréhensible : les différentes franchises, bien que connectées, doivent pouvoir se vivre indépendamment de tout développement extérieur. Il serait par exemple délicat de réintroduire le personnage de Coulson dans les films Avengers sans faire référence à sa résurrection (que la série a tout de même pris une saison à expliquer). C’est fondamentalement ce que j’appellerais la malédiction du MCU : au gros kiff que suscite l’existence d’un univers partagé s’oppose le besoin de s’assurer que chaque pièce du puzzle demeure compréhensible et fasse sens si on a fait l’impasse sur les autres.

Un puzzle complexe

Un dilemme que connaissent bien les comics depuis toujours et qui, évidemment, n’a pas tardé à se manifester également dans le MCU. Finira-t-il par imploser, entrainant la séparation définitive des films et séries ? Difficile à dire pour le moment, mais avec la scission administrative récente des deux entités dont je parlais précédemment, c’est un risque réel.

On aura largement l’occasion d’en reparler bientôt, notamment quand on s’intéressera aux séries Netflix, mais aussi au deuxième volet des aventures de Steve Rogers, Captain America: The Winter Soldier, sans conteste le film du MCU qui a eu le plus gros impact sur l’univers télé. Mais ça (vous connaissez désormais la rengaine), ce sera pour la semaine prochaine dans deux semaines (la semaine prochaine on parlera de Thor: The Dark World, que j’ai failli oublier).

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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