La saga Marvel Studios, 15ème partie : Age of Ultron, portrait robot d’une suite impossible

Ça aurait pu être le meilleur film du MCU, ce ne sera au mieux qu’une bonne suite au premier. En cause, les attentes inatteignables des fans, mais aussi des conflits entre Whedon et les costards de Marvel. Un coup dans l’eau pour autant ? 1,6 milliards de dollars disent que non, pas trop.

Avengers: Age of Ultron (Poster)Dès 2011, avant même la sortie du premier film Avengers et la consécration du MCU comme projet rentable pour Marvel Studios, Kevin Feige (le big boss) et sa troupe souhaitent passer à la vitesse supérieure et commencent déjà à réfléchir à une Phase 2 de films. Iron Man 3 est le premier chantier sur la liste, les autres habitués (Thor, Captain America) suivront, accompagnés de petits nouveaux comme les Guardians of the Galaxy. Et tout comme ce fut le cas pour la première Phase, cette joyeuse épopée culminera avec un nouvel opus des aventures de nos Vengeurs préférés.

L’annonce officielle de ce deuxième épisode se fera par la bouche du président de Disney, Bog Iger, en mai 2012, juste après le carton plein du premier film. Petit souci : le contrat de Robert Downey Jr s’est terminé avec Iron Man 3, ce qui veut dire qu’il va falloir repasser par la case négociations. Et vous savez à quel point le big boss de Marvel Entertainment, Ike Perlmutter, est près de ses sous.

Mais Whedon, qui vient tout juste de rempiler officiellement pour écrire et réaliser Age of Ultron, met un petit coup de pression à tout le monde : « Ah ben moi, j’ai écrit le film avec Robert en tête. S’il ne vient pas, je me casse ». Perlmutter cèdera finalement, en signant un gros chèque, mais du côté de Feige, on commencera un tout petit peu à s’énerver de devoir systématiquement faire la manche pour des choses importantes, comme cet emblème du MCU qu’est devenu le père Downey Jr.

Age of Whedon

Age of Ultron : behind the scenes

Joss Whedon expliquant à Elizabeth Olsen comment on joue à « suis mon doigt ».

De plus, dans le monde du cinéma, attaquer une suite est toujours une entreprise périlleuse. Le mode par défaut des pontes d’Hollywood, c’est d’aller vers le « MORE EVERYTHING » : plus de persos, plus d’explosions, un plus gros bad guy, bref tout en taille XXL par rapport au premier.

Mais d’entrée de jeu, cette vision n’est pas exactement compatible avec ce que Joss Whedon a en tête. Le souci, c’est que lui veut faire un truc beaucoup plus intimiste, où on prend le temps d’apprendre à connaître les personnages, de poser les enjeux, de bien sentir qu’il se passe un truc sérieux. Et ça ne nécessite pas forcément une explosion toutes les cinq minutes

Ce qui explique d’ailleurs qu’à la base, Whedon voulait sortir une version du film d’une durée de trois heures et demi. Oui, rien que ça. Mais les costards-cravates de la Maison aux Idées ont dit « Nope ! ». Enfin, on peut supposer, avec les informations dont on dispose aujourd’hui, que la principale entrave, c’était surtout le fameux « Creative Commitee ».

Mais si, souvenez-vous, j’en parlais en vitesse dès le premier Iron Man. En gros, à la base, c’était juste des mecs qui venaient du monde des comics (Joe Quesada, Brian Michael Bendis, Alan Fine et Dan Buckley), que le réalisateur du film, Jon Favreau, avait informellement convoqués à l’époque pour avoir leur avis sur le scénario en cours. Après quoi, ils ont eu pour tâche (permanente cette fois) de valider chaque scénario de toutes les franchises du MCU. Parfois dans la douleur.

Visiblement donc, c’est surtout avec eux que Whedon s’est « frité », notamment sur les scènes dans la ferme d’Hawkeye et au sujet des « visions » dont sont victimes les Avengers. Et plein d’autres trucs, comme une scène impliquant Loki dont on est sans nouvelle depuis (de la scène hein, pas de Loki. Ce fourbe est sur le trône d’Asgard, suivez un peu). Et il n’y a pas que Whedon qui se bat. Kevin Feige aussi a priori. Mais lui, c’est avec le patron gripsou de Marvel Entertainment, Ike Perlmutter, qu’il bataille. Il en a marre de devoir renégocier sans cesse avec trois francs, six sous (sur l’échelle d’Hollywood). En prime, Feige aimerait bien garantir la présence de Downey Jr dans Captain America: Civil War. Des tensions qui amèneront Feige à demander son émancipation de la maison-mère pour ne plus dépendre que de Disney. Le fameux schisme avec la cellule télé de Marvel dont je parlais dans le dossier sur Netflix vient de là. Mais on aura l’occasion d’en reparler.

Des velléités de succès

Black Widow & The Hulk

Black Widow et Hulk jouent aussi à « suis mon doigt », visiblement très populaire sur le tournage.

Revenons donc à Age of Ultron. Le film sur lequel tous les espoirs reposent, très attendu par les fans, trop sans doute. Tout au long du tournage, Whedon ré-écrit son scénario. En éternel insatisfait, il s’astreint à un exercice délicat : alterner les casquettes de réalisateur et de scribe, jusqu’à en perdre toute énergie. Tout ça pour garantir de livrer le film que les fans attendent. Et le film qu’il sera fier de leur offrir.

Mais dans les interviews qu’il a depuis accordé à la presse, on le sent tout de même très las quand il parle du projet. On perçoit bien qu’il n’a pas pu livrer le film qu’il voulait, qu’il a dû se plier aux volontés du studio, et que ça a été une orgie de concessions. Même si au final, il admet (et c’est tout à son honneur) qu’il assume complètement le film, on sent poindre une once de regrets dans le ton de sa voix.

Cette frilosité des executives va amener Whedon à amputer son projet, à le réduire des trois heures voulues à une taille de 141 minutes, plus raisonnable pour le box-office. Et c’est bien dommage. Parce qu’à coup sûr, il sommeille dans les coffres de Marvel une version longue d’Age of Ultron qui serait probablement le meilleur film du MCU s’il sortait aujourd’hui. Enfin, cette hypothèse n’engage que moi.

Si je ne devais exprimer qu’un regret par rapport à cette suite, ce serait celui-là : Marvel Studios était en position de force pour prendre des risques, et ils ont joué la sécurité. Le film un peu « meh », mais malgré tout plaisant et qui, surtout, engrangera les dollars par palettes entières. No pain, much gain. Ils avaient pourtant misé sans compter sur l’improbable Guardians of the Galaxy et ça c’était avéré payant. Mais comme je le disais plus haut : les enjeux, et surtout les attentes, n’étaient clairement pas les mêmes sur Age of Ultron.

Mais cessons de nous apitoyer sur le sort de ce pauvre Whedon et voyons comment ça se passe concrètement sur le tournage. Quand il n’écrit pas, Joss se pose bien évidemment derrière la caméra. Mais le plateau n’est pas vraiment paisible. Dans la vraie vie, les acteurs qui incarnent les Avengers sont de bons potes et aiment bien mettre un peu le souk dans la vie de leur réalisateur adoré. Un tournage chahuté ? Le truc qui manquait à Whedon pour péter un câble.

Chérie, ça va couper !

Age of Ultron : The Vision

« I’m not Jarvis, I’m not Ultron, I am. » Et beau parleur, en plus, ce Vision…

Ce qui explique sans doute aussi sa fatigue générale sur le projet. On le sent même sur les maigres « featurettes » commerciales du Blu-ray : Whedon est épuisé, il veut que ça se termine, et pour ça, il est prêt à tout, même accepter de réduire la durée de son film. Le résultat sur l’écran sera perceptible : des ellipses étranges, des personnages finalement survolés (Scarlet Witch en tête, mais même son frangin Quicksilver, malgré son utilité évidente dans le troisième acte), un « big bad » qui se développe un peu vite… Ah ça, on les sent les coupes franches. Surtout quand on s’intéresse aux quelques scènes supprimées disponibles elles-aussi sur la galette laser (la version longue de la discussion entre Banner et Romanoff vaut à elle seule l’investissement). Non, vraiment, je me répète mais je crois que sans la frilosité des gens qui décident, on aurait eu droit à un tout autre film.

Il reste néanmoins des moments de grâce à lui accorder. Tout d’abord, la réussite totale qu’est The Vision. Un personnage très comics, difficile à retranscrire avec justesse, et que Whedon a parfaitement cerné. Bon, il ne pige toujours rien à Captain America, mais ça c’est un autre problème. Pour le reste, le film est blindé de bons moments, de scènes épiques, de vannes qui font mouche et surtout, son grand méchant est sans conteste un des plus réussis du lore ciné. Si, si, j’insiste.

Avant l’heure, c’est Spader

Ultron

« Talk to the hand! » Ah non, autre film, désolé.

D’ailleurs, à ce sujet, autre coup de génie de l’ami Joss : embaucher James Spader pour prêter sa voix et ses expressions à ce bon vieux Ultron. Alors oui, on peut lui reprocher beaucoup plus d’anthropomorphisme que dans les comics, mais au final, le résultat est une réussite. Réussite qu’on doit aux gars d’Industrial Light & Magic, comme très souvent.

Ça n’empêche pas le film de sembler incomplet et en toute honnêteté, les critiques formulées sur la version livrée sont parfaitement légitimes. La faute à un rabotage de force par un studio qui n’a voulu prendre aucun risque. Le film reste pourtant un de mes préférés du MCU (et je sais que ça va en faire hurler plus d’un), mais il aurait pu être tellement mieux. Je pense que c’est la plus grosse frustration qu’il engendre.

La phase de post-production de ce projet gargantuesque de deux ans finira d’achever l’ami Joss. Plus de 3000 plans incluant des effets virtuels, un grand méchant entièrement en CGI, un Hulk, de la motion capture en veux-tu en voilà. Bref un taf de fou qui impliquera une dizaine de boites différentes, qu’il faut bien évidemment superviser. Reprend un kawa, Joss, tu vas en avoir besoin.

Au final, pas étonnant qu’il ait jeté l’éponge pour le chantier délirant que devrait être Avengers: Infinity War, la fin de la trilogie Avengers, apothéose ambitieuse, voire cinglée, en deux longs métrages. Et tout ça, avec une liste de personnages plutôt conséquente : les frangins Russo ont récemment avancé le chiffre de 67. Imaginez le bordel à gérer pour donner du temps d’écran à tout ce beau monde, de manière intéressante, sans perdre le spectateur en route.

Si Whedon était déjà fatigué après AoU, je pense qu’Infinity War l’aurait tué. Du coup, il a rendu ses casquettes de réalisateur et de scénariste, mais il a aussi décidé d’arrêter toute collaboration avec Marvel. Fini le script doctoring en douce pour réparer des scènes qui ne fonctionnent pas sur les films des potes. Terminé de garantir l’intégrité de l’univers imaginé par Feige. Qui va prendre la relève ? Pour le moment, on l’ignore encore. Mais la paire de scénaristes qui bosse avec les frères Russo sur Infinity War, Christophe Markus et Stephen McFeely (dont on a déjà beaucoup parlé) sont bien placés pour reprendre le flambeau.

Mais avant d’attaquer la Phase 3, il reste encore un petit détail à régler : le sort d’un certain Ant-Man, un projet dont la genèse remonte à une bonne dizaine d’années, au développement cauchemardesque, sur lequel plus personne ne mise. Mais ça, vous l’aviez deviné, on en parlera la semaine prochaine.

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


Note : cet article est l’équivalent de 4 à 5 pages de magazine. Il n’est possible de rédiger des papiers de cette taille que grâce à nos soutiens Paypal, mais surtout à nos patrons. Oui, on sait, c’est pas le bon terme. Mais nous, ça nous fait rire. Et quand on reçoit des sous aussi, d’ailleurs. Du coup, merci à vous, qui mettez la main à la poche pour nous inciter à bien bosser ! Et si vous n’avez pas encore franchi le pas, pensez à soutenir Geekzone pour que nous puissions augmenter la cadence !

Vous devriez également aimer…