Street Fighter 5 : Capcom à la croisée des chemins – Part 3

Nous voici à la fin de cette série d’articles sur Street Fighter 5 ! Après une première partie où nous faisions le point sur le gameplay de Street Fighter 4 – déduisant au passage que son caractère permissif avait conduit à déresponsabiliser le joueur – et une seconde où nous avions décortiqué les origines de la vision de Capcom pour son jeu – plutôt positive sur le papier – nous allons pouvoir conclure !

SF5 - Opening Cammy

Quelle orientation pour le gameplay de ce nouveau titre ? Quels sauf-conduits pour garantir que les nouveaux joueurs puissent s’y mettre ? La vision globale de Capcom pour son titre a-t-elle été suivie d’actes ? Sortez les gants, il est temps de boxer.

« On piffe pas ici ! »

Ne tournons pas autour du pot : Street Fighter 5 entend remettre les décisions du joueur au coeur de son gameplay.

Comme nous l’expliquions dans la première partie, Street Fighter 4 compensait un empilement imprévu de mécaniques de jeu par un assistanat au sein même du moteur de jeu. Mais en laissant cet assistanat invisible, non expliqué et difficile à réaliser, il créait un clivage entre joueurs débutants et confirmés. De plus, il devenait difficile pour un novice de distinguer ce qui est du ressort du joueur ou du moteur de jeu.

Dès les premières beta de Street Fighter 5, le ton était donné : aucun moyen d’annuler une action risquée, des dégâts en hausse par rapport au précédent épisode, le retrait d’un maximum d’option select qui font le travail à la place du joueur… Les déclarations de Combofiend ne font que confirmer : oui le jeu se concentrera sur la lecture de l’adversaire et non il n’y aura pas une mécanique permettant aux débutants de réparer leurs erreurs. Il ne faudra tout simplement pas en faire.

SF5 - 4 - Part 3

Ryu en train de souffrir. Ou submergé par une vague d’extase. On ne sait pas trop avec cette position…

Ce jeu sera mort dans trois mois

Rapidement, les critiques fusent : « Street Fighter 5 n’aura aucune profondeur de jeu, il sera trop difficile pour les débutants, etc. » Et il n’y a que 16 personnages ! Certains parlent carrément de rester sur Street Fighter 4…

Mais de bonnes idées empruntées ici et là viendront renforcer l’orientation du jeu. Comme nous l’expliquions précédemment, une des bases de Street Fighter – les footsies aka le jeu de distance au sol – est modifié par deux choix logiques et cependant osés.

Le premier est la fusion pure et simple des deux palettes de coups (corps à corps / distance) de chaque personnage en une seule, plus efficace et moins complexe à retenir pour les débutants. La seconde est encore plus radicale : plus aucun coup porté normalement ne garantit une mise au sol prolongée de l’adversaire. Celui-ci se relève instantanément, empêchant les embrouilles de relevée qui avaient fait le sel de Street Fighter 4… Ce simple changement a pour effet de remettre les deux joueurs dans une situation de combat au sol avec un léger avantage pour l’attaquant.

D’autres changements plus subtils sont mis en oeuvre : mécanique permettant d’absorber / supprimer les projectiles, réduction de la vitesse et de la portée des projections, recul amplifié sur les coups portés en garde, suppression des combos commençant par des coups faibles…

On voudrait faire l’inverse de Street Fighter 4 qu’on ne s’y prendrait pas autrement !

FRAME TA GUEULE !

Au premier abord, l’offensive est pénalisée car il devient très difficile de placer des variantes de coups hauts et bas sur un adversaire qui se relève si vite, sans parler de la projection plus lente. Comment ouvrir la garde ?

En utilisant la plus vieille technique du monde sur un joueur qui se relève : un meaty. Il s’agit d’utiliser un coup possédant plusieurs frames d’attaques actives et dont on place les dernières sur la relevée adverse. En procédant ainsi on s’assure qu’il n’y a pas de « trou » et on oblige l’adversaire à garder et…

« WOWOWOW on se calme. Des frames…? De quoi tu parles encore ? »

Les coups ont tous trois phases calculées en frames (1 frame = 16 milli-secondes) :
– Les frames de startup sont l’initialisation du coup
– Les frames actives sont celles où le coup est actif et fait des dégâts
– Les frames de recovery sont celles où le coup se termine

SF5 - character demo

Pour l’exemple, partons du principe que les coups faibles sont actifs au bout de 3 frames, les moyens au bout de 5 et les forts au bout de 8 et la projection au bout de 5. Si l’on utilise un moyen qui étourdit l’adversaire pendant 7 frames mais que notre coup se termine au bout de 5, on est donc libre de nos mouvements plus tôt que notre adversaire, ici de 2 frames. C’est ce qu’on appelle le frame advantage.

Cela veut dire que si on lance un coup tout de suite après au moment où l’adversaire pourra à nouveau bouger, tout sortira 2 frames plus vite : le coup faible sera actif au bout de 1 frames, le coup moyen et la projection au bout de 3 et le coup fort au bout de 5.

Et il se trouve que dans Street Fighter 5, presque tous les personnages possèdent des coups normaux ayant un avantage de +2 quand bloqués.

Ca a l’air vachement dur ton truc, là !

SF5 - 2 - Part 3

Bengus est capable de faire bien mieux que ce qu’il a été forcé de faire en 15 jours pour illustrer le mode story !

Cela semble en effet complexe au premier abord mais il s’agit avant tout d’une histoire de calcul et de priorités de coups. Car que se passe-t-il quand deux coups se rencontrent à la même frame ? C’est simple : le plus fort gagne. Le faible / la projection sont battus par le moyen qui est battu par le fort.

Ainsi, un attaquant ayant réussi son meaty et se retrouvant à +2 possède un avantage significatif :

  • Sa projection et son coup moyen sortiront en 3 frames donc en même temps que le coup faible adverse qu’ils mangeront.
  • Son coup moyen sortira en même temps que le faible et gagnera via la priorité.
  • Son coup fort sortira en même temps qu’un coup moyen ou une projection adverse… Mais perdra contre un coup faible.

C’est ici que le nouveau “pierre-feuille-ciseau” se joue. Au lieu de dépendre d’une hauteur de coup, il s’est simplement déporté sur la vitesse des coups et leur avantage, qu’il faut prendre en compte aussi bien en tant qu’attaquant que défenseur. Un défenseur pourrait estimer que garder est la meilleure solution mais chaque coup dans la garde va créer des dégâts potentiels dans sa barre de vie, qui sont retirés si une touche ou une projection à lieu.

Et qu’arrive-t-il quand on frappe un adversaire lui même en train de frapper ? Un Counter Hit. Dans Street Fighter 5, cela veut dire que le coup porté étourdit pendant 2 frames supplémentaires. Assez pour permettre à un coup faible, habituellement inutile en combo, de s’enchainer avec un autre. On ouvre ainsi la voie à des combos impossibles autrement et donc de gros dégâts.

Avons-nous précisé qu’une barre d’étourdissement se remplit à chaque coup porté, encore plus rapidement quand le coup touche en counter hit ? Et qu’une fois pleine, le personnage est dans les vapes et à la merci de son adversaire ?

Fini de bourrer

SF5 - 3 - Part 3

Pour en savoir plus sur les illustrateurs de jeu de combat, il y a ce podcast !

Vous l’aurez compris, l’aspect offensif du jeu n’est que faussement affaibli. Une fois en garde le stress monte, le dilemme entre garder et frapper est omniprésent. Et comme nous l’avons dit plus haut, il n’y a plus d’options select pour choisir à notre place.

Capcom, qui ne souhaitait pas voir cette partie offensive monopolisée par une élite, a même changé le buffer du jeu pour que chaque coup entré le soit pendant 3 frames, facilitant de facto leur utilisation. Les combos et offensives dans la garde s’en trouvent donc facilités et il n’y a plus besoin de passer des heures en mode entrainement.

Ce plan de jeu peut cependant paraître répétitif et c’est le cas si on le compare à celui de Street Fighter 4, dont les options de relevée étaient extrêmement nombreuses. Pour tenter de pimenter un peu la donne, Capcom a donc choisi de modifier presque tous les personnages, leur allouant au passage le VTrigger, une mécanique personnalisée qui renforce leurs capacités ou compense leurs faiblesses de différentes manières.

En résulte un gameplay où la distance au sol joue un rôle primordial. Les mises à terres sont des occasions brèves de se rapprocher et de commencer une offensive sur la relevée adverse, mais sans l’excès permis par Street Fighter 4. Quant à l’attaque au corps à corps, comme expliqué plus haut, elle est très forte mais aussi très courte car le recul des coups est important.

Cela donne un titre dont le rythme s’accélère et décélère plus rapidement que dans Street Fighter 4. Avec ce dernier, la mise à terre de l’adversaire permettait un saut de l’attaquant et son offensive durait longtemps et de manière moins intense, se terminant souvent par une autre mise à terre.

Ce cinquième épisode offre un jeu plus neutre, où il est plus difficile de capitaliser sur une mise au sol mais où chaque ouverture de garde se traduit par des dégâts très élevés.

Une petite odeur de Diablo 3

Rainbow-Mika-SFV-Butt-Slap-Tribute-Art-by-Mihai-Radu

La censure a frappé le postérieur de R.Mika, qui à l’origine disposait d’une animation… différente ! (Illustration par Mihai Radu)

Si le gameplay est prometteur, on ne peut malheureusement pas en dire autant pour… tout le reste ! Nous avions longuement discuté de la modernisation du jeu de combat, de créer un nouveau paradigme qui ne retiendrait que les bons cotés de l’arcade et adopterait de nouvelles pratiques, plus modernes, héritées des titres compétitifs d’aujourd’hui.

Et de ce point de vue là, on ne peut pas dire que Capcom ait réussi son pari. Certes le business model est innovant, le suivi du jeu sera probablement correct et s’il manque des modes de jeu au lancement, ils seront vite ajoutés.

Mais pour le moment, c’est un échec complet. Les modes de jeu solo, importants pour permettre à de nouveaux joueurs d’entrer dans la série et s’imprégner de son univers, sont aux abonnés absents. Les tutoriels destinés aux petits nouveaux chauds pour la bagarre également. L’aspect social du titre se résume au mode versus comme en 1991, et au jeu en ligne, qui ne fonctionnait que sporadiquement au lancement et se permet quelques oublis fâcheux comme punir les ragequits, pourtant sport international depuis déjà des années ! Et ne parlons pas de l’UI / UX mal fichue, qui témoigne certes d’une volonté de se moderniser mais ne réussit qu’à perdre les joueurs tant sa conception est complètement raté.

On devine derrière tout ça un accouchement difficile et un développement rushé pour sortir juste à temps pour la saison de compétitions. On repère ici et là les intentions, mais à l’heure où nous écrivons ces lignes, le jeu ressemble plus à une early access qu’à un titre prêt pour une sortie commerciale mondiale. Estimons-nous heureux que le gameplay soit achevé et à la hauteur…

Le temps et les chiffres de vente nous dirons si Capcom a fait le bon choix en précipitant les choses. En attendant, nous ne pouvons que conseiller aux curieux de s’y lancer, à condition d’être capable de trouver tutoriels, combos et guides de jeux sur Internet. Sur ce point, YouTube est – comme souvent – votre meilleur ami. YouTube et de la patience. Beaucoup de patience !

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