Avec Time Well Spent, Tristan Harris veut nous aider à mieux dépenser notre temps sur la toile

Depuis plusieurs mois, Facebook fait le forcing pour inciter ses utilisateurs à installer l’application mobile indépendante Messenger. Officiellement pour nous proposer un meilleur service. Dans les faits, les ambitions sont nettement moins altruistes. Ces « motivations de l’ombre » des géants du web, Tristan Harris les connaît bien. Ex-« philosophe produit » chez Google, il s’occupe désormais à 100% de Time Well Spent, un « label de qualité » destiné à récompenser les technologies qui respectent nos choix et notre temps disponible, sans chercher à nous distraire ou capturer notre attention par des biais discutables.

Tristan HarrisEn mai dernier, Harris publie sur Medium un papier passionnant intitulé « Comment la technologie détourne l’esprit des gens » (à lire ici, en anglais). Dans cet essai, Harris nous explique que l’ambition première des concepteurs de produits est de jouer sur nos vulnérabilités psychologiques, de manière consciente et inconsciente, pour conserver notre attention le plus longtemps possible.

Et pour ce faire, ils utilisent différentes techniques, comme par exemple :

  • Proposer aux utilisateurs des menus « orientés », pour limiter leurs choix.
  • Utiliser nos téléphones comme des machines à sous, en proposant des récompenses variables qui renforcent l’addiction (la notification, par exemple, devient dès lors une récompense qui nous incite à revenir les consulter régulièrement).
  • La peur de manquer quelque chose d’important (notion abrégée FOMSI en anglais, Fear Of Missing Something Important) limite également notre volonté et nous incite à rester inscrits et connectés à une pléthore de services.

Et ce ne sont là que trois exemples parmi des centaines d’autres. Ce n’est pas un hasard si toutes ces techniques de « capture d’audience » sont enseignées aux futurs ingénieurs de la Sillicon Valley.

Sur le Net, le « temps passé » (« time spent ») est l’échelle de mesure du succès pour un site : au plus vous passez de temps dessus, au mieux. Pas étonnant dès lors que les développeurs cherchent par tous les moyens à rendre l’expérience la plus addictive possible. Et pour Harris, cela ne va pas aller en s’améliorant.

Facebook MessengerLe Messenger de Facebook en est d’ailleurs le meilleur exemple : sur l’application, il est impossible de désactiver les notifications de manière globale et permanente. Un indice clair que l’intention n’est pas de s’adapter à la disponibilité des utilisateurs, mais de les forcer à revenir aussi souvent que possible sur l’application.

Dans une récente interview accordée à nos confrères de Rue89, Harris enfonce encore un peu plus le clou.

Parce qu’on est dans une économie de l’attention, avec une compétition entre les applications, ça va devenir de pire en pire. Comme la réalité virtuelle ou immersive, qui va devenir plus persuasive que la réalité physique. Et qui voudrait rester dans le réel quand on lui propose de faire l’amour avec la personne de ses rêves ou d’aller cueillir des arcs-en-ciel ? Et je ne suis pas dans un truc futuriste là, Facebook a déjà sorti son Oculus Rift.

Harris veut changer ce paradigme du « time spent » en « time well spent », notion plus positive qui verrait les apps que nous utilisons au quotidien respecter notre attention plutôt que de jouer sur les interruptions incessantes pour nous obliger à y revenir. C’était en substance le message de Harris au TEDTalk de Bruxelles, il y a déjà deux ans, une conférence que je vous invite à découvrir ici (et pour le coup, faites-moi confiance, ce seront 15 minutes bien dépensées).

La conclusion du jeune ingénieur est sans appel : notre temps est précieux, et ce n’est pas à Facebook et consorts de décider pour nous de la meilleure manière de le dépenser. Un constat qui va malheureusement à l’encontre des intérêts économiques de l’industrie. Alors, comment faire pour inverser la tendance et lutter contre cet état de fait ? Harris a quelques suggestions pour bien démarrer :

  • Réduire les perturbations en supprimant au maximum les notifications, souvent parasites.
  • Réorganiser son écran d’accueil en limitant le nombre d’applications au strict minimum et se concentrer sur celles qui nous amènent là où veut aller (calendrier, gps, etc.).
  • Ranger les autres apps (qu’Harris assimile à des écrans de télé) dans des dossiers spécifiques pour éviter la tentation de cliquer dessus (pour ne pas avoir en permanence sous le nez l’indicateur de mails non lus par exemple).

Parce qu’au final, le temps est la seule monnaie qu’on ne peut jamais récupérer. Il est donc primordial de choisir avec soin comment le dépenser, quels que soient les efforts déployés par les boites de la Silicon Valley pour accaparer notre attention le plus longtemps possible.

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