Dossier : où consommer sa musique en ligne ?

Il y a environ un an, dans les colonnes de feu Humanoïde Magazine (snif !), je tentais de répondre à l’épineuse question : où faut-il acheter sa musique en ligne ? Vaste débat s’il en est, auquel je serais toujours enclin de répondre à la Normande par un très prudent : ça dépend. Explications.

Spotify can't pay rent...Le marché de la musique en ligne explose. Il dépasse désormais en volume le marché physique, et de plus en plus de portails surfent sur la vague, chacun avec ses spécificités et ses modes de rémunération parfois très opaques. Difficile dès lors pour le grand public d’y voir clair et de savoir où sortir la CB pour s’assurer que son petit chouchou touchera le maximum.

Des intermédiaires avides

Streaming audio : le sujet de la rentabilité

Avant d’entrer dans le vif du sujet, petit rappel des bases : quand vous achetez un album de musique, un petit pourcentage de cette somme seulement atterri dans la poche de l’artiste.

Ce montant va essentiellement dépendre de deux facteurs : le nombre d’intermédiaires entre le producteur et l’acheteur, et le pourcentage que chacun de ces intermédiaires va ponctionner au passage.

Si je décide par exemple de publier un nouvel album sur le magasin iTunes, je vais devoir passer par une maison de disques qui va elle-même utiliser les services d’un agrégateur (ou distributeur) qui se chargera à son tour de le mettre à disposition sur le magasin en ligne d’Apple. Forcément, ces entités vont toutes taper dans la caisse, généralement dans les proportions indiquées dans le tableau ci-dessous.

Pour un album au format MP3 vendu 10€ :

Vendeur (par ex. iTunes) : 30% (soit 3€)
Distributeur / Agrégateur : 20% (soit 2€)
Maison de disques / Label : 10% (soit 1€)
Autres (TVA, Redevance SDRM, transaction bancaire, etc.) : 30% (soit 3€)

Reste pour l’artiste : 10% (soit 1€)

Un pauvre euro pour un album écoulé à dix fois ce montant, voilà qui ne vend guère du rêve. Heureusement, tous les portails ne fonctionnent pas de la même manière, et certains, comme Bandcamp, prélèvent non seulement moins à la source, mais autorisent également le dépôt de musique sans qu’il soit nécessaire de passer par de gourmands intermédiaires.

L’infographie qui calme

Pour mieux comprendre l’ampleur des différences, observez le graphique ci-dessous, renseignant le nombre de ventes (ou d’écoutes dans le cas du streaming) nécessaires pour atteindre le SMIC nord-américain (soit 1260$).

Répartition des gains financiers obtenus par le streaming musical.Entre Bandcamp (qui prélève 10% et fonctionne sans intermédiaire) et iTunes (qui glisse 30% dans ses poches et requiert de passer par un label et un distributeur), on serait tenté au premier coup d’œil d’en conclure hâtivement qu’il est a priori plus intéressant de vendre sur le premier que sur le second.

Ce qui est tout à fait vrai sur le court terme. Mais le marché de la musique est un animal complexe et on ne peut malheureusement pas l’aborder en ne visant que la rentabilité directe. Et sur le long cours, il peut s’avérer nettement plus intéressant de vendre sur iTunes, où l’on jouira d’une visibilité plus importante.

Et le streaming alors ?

Streaming de musique via IOS.Comme vous pouvez le déceler en observant les dernières lignes de l’infographie précédente, le cas du streaming est un petit peu particulier. Pas besoin d’être doué en math pour comprendre que ce n’est clairement pas par ce biais qu’un producteur pourra s’offrir une villa avec piscine. Même si les revenus générés augmentent exponentiellement en fonction du nombre d’écoutes, les sommes restent dérisoires par rapport à de la vente pure.

On ne va pas se mentir : même s’ils offrent aux mélomanes un service imbattable en termes de rapport qualité/prix, Spotify, Deezer et leurs petits camarades sont avant tout des outils de promotion, sur lesquels on va surtout essayer de se faire connaître, et espérer transformer par la suite ces nouveaux fans en acheteurs qui iront dépenser leurs deniers chez Monsieur iTunes et consorts.

Le tout jeune Apple Music avait promis de changer la donne, mais pour le moment, on ne peut pas vraiment dire que son arrivée sur le marché ait eu un effet notable pour le porte-feuille des artistes. Le seul impact de ce nouveau challenger se limite pour le moment à un déplacement d’abonnés d’un service vers un autre.

Pour le producteur, le constat est toujours le même : les revenus générés sont globalement similaires. Et malgré l’intégration d’un service dédié à la gestion de sa fanbase (Connect), on ne remarque pas dans les faits une exposition plus avantageuse sur la plate-forme de streaming de la pomme en comparaison des autres ténors.

Le vrai (et seul ?) point positif du streaming, quand on se place du point de vue de l’artiste, c’est son côté hautement social, qui permet de générer du « buzz » à moindre coût. Ce qui, d’une certaine manière, rend indispensable la présence des artistes émergeant sur ces plate-formes. Taylor Swift peut se permettre de snober le streaming, parce qu’elle vend déjà des CD par brouettes entières. Mais si vous débutez dans le milieu, mieux vaut ne pas l’imiter.

Équivalence écoutes en streaming / ventes (nombre d’écoutes correspondant à 1 vente sur iTunes, soit 0,99 $) :

Google Play : 135 (0,0073 $/écoute)

Tidal : 141 (0,007 $/écoute)

Spotify : 900 (0.0011 $/écoute)

Deezer : 990 (0.001 $/écoute)

Apple Music : 825 (0,0012 $/écoute)

Conclusion

LOLCat DJS’il apparaît relativement clair que le streaming est à proscrire si vous voulez vraiment soutenir financièrement vos artistes favoris, il est plus difficile de faire une recommandation définitive concernant l’achat de musique, qu’elle soit au format dématérialisé ou physique. Si la seule chose qui vous importe, c’est votre porte-monnaie (aucun jugement de ma part ici, c’est un critère parfaitement légitime), le calcul est assez simple : il suffit de comparer les prix et de privilégier le moins cher (en évitant soigneusement les portails suspects, ceux qui tentent d’imiter le très illégal Grooveshark).

Pour les autres, tout va dépendre du type de soutien que vous souhaitez apporter aux artistes.

Si votre objectif est qu’ils récupèrent un maximum de dollars pour un album particulier, le mieux sera de faire vos courses sur des portails qui combinent à la fois un nombre d’intermédiaires restreint (voire nul) et une marge réduite, comme Bandcamp. Ce n’est pas un hasard si de plus en plus de labels indés se rabattent sur cette solution, pour minimiser les coûts (comme Clinique Recordings par exemple).

Mais il ne faudrait pas pour autant négliger l’importance d’autres sites, à première vue moins rentables. Avoir une visibilité sur iTunes, Amazon ou Google Play aujourd’hui est un avantage non négligeable dans un marché de plus en plus saturé.

Certes, ce petit groupe indé méconnu que vous affectionnez particulièrement touchera du coup moins d’argent sur la vente, mais sur le long terme, l’investissement pourra s’avérer nettement plus profitable, en les propulsant en tête des charts du site, attirant par la même occasion de nouveaux auditeurs curieux, susceptibles à leur tour de passer à la caisse.

Enfin, il est important de noter que le marché est encore en pleine mutation. De nouveaux modèles apparaissent régulièrement, comme Patreon (créé en 2013 par un musicien justement, membre du groupe indé Pomplamoose, et sur lequel on reviendra dans un prochain dossier GZ), qui mise tout sur la fidélisation et propose un système de mécénat à l’abonnement, avec une retenue minime (de l’ordre de 5%).

Quoiqu’il en soit, dans le doute, n’hésitez pas à vous rencarder directement auprès des artistes. Après tout, ce sont eux les mieux placés pour vous orienter sur ce qui les aidera à les propulser au plus vite sur les sentiers de la gloire. Et de la richesse.


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