La saga Marvel Studios, 18ème partie : Doctor Strange, le sorcier qui secoue les trips

Première nouvelle franchise de cette phase 3 du MCU, Doctor Strange (un peu à l’instar de Thor en Phase 1, et Guardians en phase 2) est un projet délicat. Le film se doit d’ouvrir l’univers cinématique de Marvel sur un nouveau pan des comics (la magie et le Multiverse), tout en essayant une fois encore de faire tomber le public amoureux d’un héros supplémentaire venant grossir les rangs. Tout ça sans compter l’univers bien barré dans lequel il évolue, fleurant bon le psychédélisme des 60s. La tâche de conversion vers un truc « regardable » sur grand écran s’annonce rude…

Doctor Strange

Il a pas la classe, cet enfoiré ?

Disclaimer ! Je sais que le film n’est sorti que mercredi dernier, et que la plupart d’entre-vous n’ont probablement pas encore eu l’occasion de le voir, donc je préviens : ça risque de spoiler. Voilà. Si vous ne voulez pas vous gâcher la surprise, bookmarkez le dossier et revenez-y quand vous aurez fait vos devoirs. Vous êtes prévenus !

Je ne vous ferai pas l’insulte de vous rappeler qui est Strange dans les comics. Si vous faites partie des gens qui n’en ont jamais entendu parler, je vous invite à écouter le focus de l’épisode 25 des Clairvoyants, notre podcast mensuel sur le MCU, où l’on s’étend pendant une vingtaine de minutes sur le personnage. Sachez juste que c’est un ancien chirurgien devenu sorcier, qu’il se balade dans des dimensions parallèles et que c’est un garçon plutôt arrogant.

L’envie de faire passer le célèbre Sorcier Suprême (créé par Stan Lee et dessiné par Steven Ditko en 1967) de personnage de comics à héros de long métrage ne date pas d’hier. Pour les historiens qui aiment l’exhaustivité, je me dois d’être honnête et de vous parler de sa première incarnation en film, pour la télévision en l’occurrence, une horreur qui date de 1978. Je vous glisse la bande-annonce ci-dessous pour vous permettre de bien jauger l’étendue des dégâts, et comprendre par vous-même qu’il n’est pas nécessaire d’en faire plus longtemps mention.

Oublions vite ça. Et considérons que la première tentative, la vraie, remonte à 1986, quand Bob Gale (oui, le papa de Back To The Future) se fend d’un scénario narrant les aventures du bon Docteur. Une histoire qui ne verra malheureusement jamais le jour, faute d’intérêt des grands studios, mais qu’on peut découvrir ici, dans une courte retranscription.

Après ce premier faux départ, l’idée d’un autre scénario germe alors dans les cerveaux du duo Alex Cox (réalisateur de Repo Man) et Stan Lee (qu’on ne présente plus), avec une vague option à l’horizon pour le développer chez Regency. Mais là non plus, rien n’aboutit. Le projet passera alors un peu dans tous les studios du début des années 90 à la fin des années 2000 (même Wes Craven et David S. Goyer s’y sont essayés, sans succès), avant de finalement revenir au bercail, chez Marvel, vers 2005. Pile poil au moment où le studio ciné se met à rêver de productions maison…

C’est là que les choses ont commencé à bouger sérieusement. Marvel monte son écurie de scénaristes, pour plancher sur un paquet de projets au long terme (notamment Black Panther, qui déboulera sur les écrans en février 2018), mais aussi Doctor Strange donc. Mais sérieusement, cette fois-ci, avec une véritable intention de le faire sortir un jour en salles. Le challenge est de taille, et c’est le duo Thomas Dean Donnelly et Joshua Oppenheimer (qui n’avaient pourtant rien de bien brillant à leur actif) qui le relève en premier, en juin 2010.

Doctor Strange

Quand t’as pris trop d’ecstas au Macumba de Kamar-Taj. (PS : Tilda Swinton est tellement badass en Ancient One <3).

– Mister?
– Doctor!
– Mister Doctor?
– It’s… Strange.
– Maybe. Who am I to judge?

Derrickson, va ouvrir

Il faudra pourtant attendre 2013, et une déclaration de Kevin Feige, le big boss du studio, pour entendre à nouveau parler du projet. Il déclare à l’époque au site MTV.com que oui, Doctor Strange est bien dans les cartons pour la phase 3, sans plus de détails. L’info sera officiellement confirmée en octobre 2014, lors de la grosse annonce post-ComicCon de la farandole de films à venir, dont je vous avais déjà parlé (et que vous pouvez revoir ici, si ça vous chante).

Reste alors à savoir à qui l’ami Kevin va confier ce chantier délicat. Pour Thor, le studio avait fait confiance à un réalisateur émérite, Kenneth Brannagh. Pour Guardians, ils avaient été cherché un James Gunn plutôt débutant, à qui allaient-ils donc refiler la lourde tâche de superviser ce film pivot pour le MCU ?

Scott Derrickson, réalisateur du plutôt chouette Sinister a une idée très précise de l’identité du messie : lui. Il en est tellement convaincu qu’il investit un gros paquet de thune pour monter une présentation de 90 minutes à destination des pontes de Marvel. Et je ne vous parle pas d’un joli Powerpoint entrecoupé de blagues. Non, Derrickson fait tapis (comme disent les joueurs de poker), met ses parties intimes sur la table, balance des concept arts, et embauche même des storyboarders pour donner vie à sa vision. Le monsieur a clairement un gros coup de cœur pour le personnage.

Convaincu par tant d’enthousiasme, Feige le signe en juin 2014, après avoir un moment lorgné sur Mark Andrews (Brave) et Jonathan Levine (Warm Bodies). Derrickson souffle, il ne vient pas de claquer son PEL pour rien. Le bébé est à lui. Et il a une vision très claire de ce qu’il veut en faire. Notamment en ce qui concerne le rôle titre et l’identité de celui qui aura la délicate tâche d’incarner l’arrogant chirurgien devenu maître des arts mystiques.

C’est pas sorcier !

Doctor Strange

« Nan mais c’est quoi cette blague là ? J’avais dit une barbe, tu fais pas d’efforts là. » (Chiwetel Ejiofor, Benedict Cumberbatch et Scott Derrickson).

À peine à bord, le réalisateur fait savoir qu’il veut absolument recruter Benedict Cumberbatch. Malheureusement, le planning de production n’est pas compatible avec l’actualité de l’acteur britannique, qui doit jouer Hamlet sur les planches. L’ami Scott se rabat alors sur sa liste de secours : d’abord Joaquin Phoenix (qui dit « nope »), puis Jared Leto (qui dit « nope » aussi). Derrickson fait la gueule.

Au même moment, en coulisse, Marvel continue de bosser avec Cumberbatch pour tenter de trouver un arrangement. Et en décembre 2014, miracle ! Un deal est trouvé ! Pour réussir à choper l’interprète de Sherlock, le studio a concédé pour la première fois un truc assez fou : décaler les dates de production pour qu’elles coïncident avec ses disponibilités. Derrickson ne fait plus la gueule : il a son Stephen Strange.

Côté scénario, le bébé est désormais dans les mains de Jon Spaihts. Ce qui fait d’ailleurs bien flipper Internet : le monsieur est connu pour avoir pondu la première version du tristement célèbre Prometheus de Ridley Scott. Mais bon, comme c’était avant que Damon Lindelof n’y mette ses grosses pattes, difficile de savoir s’il était vraiment responsable du naufrage. Toujours est-il que son nom ne rassure personne…

Comme souvent avec les productions Marvel, une fois que le lead est annoncé, il n’y a plus qu’à se baisser pour ramasser les seconds rôles. Pour incarner le Baron Mordo (ancien allié devenu ennemi dans les comics), le studio choisit Chiwetel Ejiofor, un autre sujet de sa Majesté, qu’on avait déjà pu apercevoir en chasseur de primes terrifiant dans Serenity (le film inspiré de l’excellente série télé Firefly), mais surtout 12 Years A Slave pour lequel il a reçu moult prix.

En juillet 2015, c’est la fantastique Tilda Swinton qui rejoint l’équipe, pour un rôle qui lui vaudra une belle polémique : celui de The Ancient One. Il faut savoir que, dans les comics, le personnage est un homme, Tibétain. Donc pas vraiment une nana caucasienne. Mais Feige démonte rapidement le bad buzz en expliquant que pour lui, l’Ancien est avant tout un titre, et qu’ils ont choisi d’explorer une autre voie dans l’univers ciné, celui d’une femme d’origine celtique. Et puis, ne nous voilons pas la face, s’il y a moyen au passage de ne pas offenser le (juteux) marché chinois, c’est bien aussi.

He Mads

Hannibal a viré goth (Mads Mikkelsen avec une vilaine conjonctivite).

Hannibal a viré goth (Mads Mikkelsen avec une vilaine conjonctivite).

Et en ce qui concerne le « big bad », Derrickson récupère Mads Mikkelsen, tout juste sorti d’Hannibal, pour incarner Kaecilius, un méchant… euh… très mineur dans les BD, ce qui rajoute encore aux inquiétudes des fans sur le devenir du film. Même si, secrètement, tout le monde espère que Dormammu, ennemi légendaire de Strange dans les comics, pointera le bout de son nez. Spoiler alert : c’est le cas, et c’est également Cumberbatch qui lui prête voix et visage, par le biais du motion-capture. Une idée suggérée par l’acteur pendant le tournage. Généreux, le garçon !

Plutôt branché Tintin et Astérix dans la vraie vie (ce qui est assez loin des délires de tonton Ditko), Cumberbatch n’hésite pas à se plonger dans les comics pour étudier consciencieusement la personnalité complexe qui habite le Docteur, et l’univers dans lequel il va évoluer. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est motivé par le rôle.

En outre, comme tout le passage sur son apprentissage de la magie sera tourné au Népal, l’acteur y voit l’occasion idéale de retourner dans ce pays qu’il connait bien, et où il a déjà passé de longs mois à méditer parmi les moines. Les premières photos de tournage commencent à circuler, et même les plus sceptiques (comme mon ami Foxmonsieur) commencent à se ranger du côté des conquis. Cumberbatch est Strange, c’est indéniable. Et on comprend mieux pourquoi Marvel a remué ciel et terre pour lui mettre le grappin dessus.

Profitons-en au passage pour souligner le boulot incroyable réalisé par Sarah Finn, directrice de casting sur tous les films du MCU depuis Iron Man. Elle s’est avérée jusqu’ici redoutablement efficace pour recruter à chaque fois les bonnes personnes sur les projets maison et Marvel lui doit sans conteste une bonne part de son succès au cinéma. On ne parle pas assez souvent des héros l’ombre, c’est désormais réparé.

Le cast est à présent au grand complet, tout semble se dérouler sous les meilleurs auspices, et la production peut donc sérieusement commencer. Derrickson recrute son pote C. Robert Cargill (scribe sur Sinister) pour qu’il affûte le scénario, et s’offre même les services de Dan Harmon (Rick and Morty, Community) pour rajouter un peu d’humour à l’ensemble. Côté visuels, Derrickson a choisi de prendre un gros risque : essayer de transposer sur écran le style visuel très particulier de Ditko, indissociable du personnage. Un parti-pris ambitieux, et risqué, surtout en ce qui concerne la représentation des fameuses dimensions parallèles.

Doctor Strange

La télécommande du VHS cosmique de Strange en pleine action. Be kind, rewind.

Ditko & co

Doctor Strange

Comparatif entre le taf original de Ditko et l’interprétation par Marvel Studios en concept art (en bas).

Bien évidemment, comme souvent sur les films du MCU, c’est durant la phase de post-production que le plus gros du boulot va devoir être accompli. Outre Ditko, dont je parlais ci-dessus, Derrickson veut aussi injecter des perspectives à la M.C. Escher et des fractales de Mandelbrot dans son film. Bref, il en veut en faire un trip psychédélique sur fond de Pink Floyd. La sortie en salles étant encore toute récente, on n’a pas encore d’info sur le nombre de plans intégrant des effets spéciaux, mais nul doute que Strange se situe dans le haut du classement, tant le film regorge de tours de passe-passe visuels.

Avec l’emphase mise sur l’utilisation de la 3D, et plus d’une heure tournée au format IMAX, le chantier est considérable. Aux commandes, on retrouve les suspects habituels : la société Luma Pictures, déjà habituée des productions Marvel (ils ont notamment bossé sur Thor: The Dark World et Iron Man 3), mais également l’incontournable Industrial Light & Magic. Sans oublier la dizaine de boites satellites qui gravitent en périphérie, chacune spécialisée dans un aspect particulier du film.

Côté musique, c’est à un nouveau venu dans la famille MCU que Marvel Studios confie les rênes : Michael Giacchino, un collaborateur régulier de J.J. Abrams, à qui l’on doit notamment la bande-son très dépouillée de la série Lost, ou encore celle plus enflammée des récents Star Trek. Marvel teasera d’ailleurs son travail sur le film quelques semaines avant la sortie, en proposant aux fans d’écouter en avant-première le générique de fin sur la chaine YouTube du studio.

Après plus de deux ans de développement, de tournage et de bidouillages visuels en post-production, le film sera finalement présenté pour la première fois au public lors d’une avant-première à Hong Kong le 13 octobre 2016, pour sortir officiellement le 25 au Royaume-Uni, avant d’inonder le reste du monde. Pour l’heure, les critiques sont globalement plutôt enthousiastes, ce qui augure du tout bon pour la carrière du film sur le territoire US, carrière qui débutera le 4 novembre prochain.

Doctor Strange

« OK, Google Maps dit : tout droit ! »

Sans trop prendre de risques, on peut d’ores et déjà prédire que ce 14ème opus de la franchise MCU sera, sans trop forcer, un nouveau succès commercial pour Marvel Studios, à qui tout semble réussir (malgré d’inévitables écueils, coucou Iron Man 2). Et c’est un jalon important dans cet univers cinématique qu’ils construisent ardemment depuis 2008 : l’ouverture vers les dimensions parallèles et l’introduction de la magie dans un monde qui avait jusqu’ici plutôt les deux pieds dans la science, même en ce qui concerne les pouvoirs asgardiens.

Kevin Feige l’a déjà annoncé : Strange est un film qui servira de fondation au reste de la Phase 3, mais surtout à la Phase 4. De là à penser que le terrifiant Dormammu sera le nouveau Thanos du MCU, il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas encore pour l’heure (mais j’y crois fort). En tous cas, une chose est sure : j’ai hâte de voir les pouvoirs du Docteur intégrés dans la dynamique des Avengers. Plus ça va, et plus Infinity War me fait méchamment envie. En attendant, la prochaine sortie du studio sera le deuxième volume des Guardians Of The Galaxy, prévu pour le 5 mai 2017. Encore quelques fois dormir avant de découvrir Baby Groot dans toute sa splendeur…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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