L’arcade à tout (petit) prix

Pour un passionné de jeux vidéo ayant été enfant ou ado durant les années 80, peu de choses ont pu vendre du rêve comme le concept de l’arcade à la maison : retrouver chez soi, dans le confort de son salon, ces titres ayant absorbé tellement de pièces – encore des francs à l’époque – dans les arrière-salles mal éclairées des cafés. Comme on vit une époque formidable (mais si…), il est maintenant possible d’avoir sa propre borne, même dans un petit appart parisien. C’est facile et pas trop cher, grâce à des bestioles nommées Raspberry Pi et Picade. Suivez le guide !

Dans les années 80, la borne d’arcade fascine, non pas à cause de son odeur de vieille cigarette froide, mais par son aspect imposant, son meuble classieux, son vieil écran CRT souvent mal calibré. Et surtout, surtout, par ses jeux techniquement impressionnants, systématiquement une génération au-dessus des meilleurs titres disponibles sur les machines personnelles, la Neo-Geo faisant exception, mais son prix la réservant à une élite extrêmement fortunée…

Il faut pas mal de suspension d’incrédulité pour lancer la version Amstrad CPC du jeu culte Final Fight et avoir l’impression de jouer à la borne, mais le plaisir de ne pas avoir à y claquer tout son argent de poche fait illusion… un certain temps.

Les graphismes, la musique, le feeling des sticks et des boutons sont irremplaçables. Et pourtant les vieilles bornes Jeutel étaient loin des standards exigés aujourd’hui ! Tout le monde n’a pas chez lui un Sharp X68000, micro-ordinateur personnel japonais dont l’archi extrêmement proche des bornes de l’époque permet des conversions quasi parfaites.

Et puis, dans les années 2000, les consoles ont rattrapé l’arcade. La Dreamcast propose de plus en plus de portages arcade-perfect, le marché de l’arcade lui-même commence à se porter de plus en plus mal, finissant par se spécialiser dans les jeux offrant « un peu plus » : ici un baquet avec volant à retour de force pour la course automobile, là des reproductions d’instruments ou des périphériques de contrôle spécifiques pour les jeux musicaux. Pour le passionné, le plaisir de jouer à des reproductions parfaites était là, mais il manquait encore quelque chose…

S’il est possible de s’en rapprocher en déboursant une coquette somme dans un stick – déjà répandus dans les 90’s sur les principales machines de salon – reste encore l’ultime étape : le meuble, celui qui trône dans le salon, celui qui pue la classe. Et accessoirement, celui qui coûte un bras, non seulement à l’achat, mais aussi à l’entretien.

Le NES Advantage, qui me faisait rêver. Et puis un jour je l'ai eu.

Le NES Advantage, qui me faisait rêver. Et puis un jour je l’ai eu…

C’est pour s’en approcher le plus possible sans être obligé d’y lâcher un PEL que je me suis penché sur la construction d’une borne de type bartop, c’est-à-dire que l’on pose sur une table. Étant complètement débutant en la matière, et ne disposant pas de tous les outils nécessaires (perceuse, Dremel, etc.) je me suis orienté sur une base de Picade, que j’ai customisé selon mes besoins. Pour qui n’a jamais osé sauter le pas de la construction de borne, échaudé par la complexité de la chose, c’est le compromis idéal.

Le fabricant est basé au Royaume-Uni et la Livre sterling étant plus bas que terre depuis le Brexit, ça permet de se faire la main à moindre coût avant de se lancer dans un projet un peu plus personnel. Le coût total, avec un Raspberry Pi 3, un heatsink et une alim officielle est de £224 ($274) mais inclut £40 de frais de port vers les USA : si vous êtes en France, ça vous coûtera certainement moins cher…

Le look de base du Picade

Le look de base du Picade

Le Picade est une PCB interfaçable, avec un stick et des boutons dont les signaux seront envoyés ensuite vers le Raspberry Pi (ou à une carte-mère Mini ATX si vous avez envie de plus de patate) sous forme d’inputs de clavier USB. Il est possible de ne commander que cette carte, mais dans le cas qui nous intéresse ici, un kit complet propose également un écran 8″ (remplaçable par un écran 12″), meuble, haut-parleurs et artworks.

Le contenu de la boite

Le contenu de la boite

Le montage lui-même est très simple et il suffit de quelques outils de base (tournevis cruciforme standard, tournevis plat de précision pour l’électronique, petite clé pour maintenir les écrous) pour s’en sortir. En suivant les instructions, en quelques heures le tour est joué ! Mais si l’on désire customiser un peu sa borne, mieux vaut s’y prendre en amont pour ne pas avoir à tout redémonter.

Les Artworks

Mon jeu culte est Final Fight, j’en ai parlé plus haut, j’ai donc voulu me faire un bartop sur ce thème. Pimoroni fournit sur son site des gabarits pour qui a envie de modifier les artworks.

Plusieurs méthodes sont envisageables : personnellement j’ai décidé d’imprimer mon bezel (1), mon marquee (2) et mon control panel (3) sur du papier photo avec ma propre imprimante. Toutefois, le bezel a pour dimensions 264mm x 255mm et n’est donc pas imprimable sur du papier au format lettre ou sur de l’A4. Il a donc fallu ruser à coups de cutter pour un résultat acceptable, mais pas optimal.

J’envisage de redimensionner mon bezel (un scan en 11000×1000) pour le faire imprimer par un professionnel sur du A3+ histoire d’avoir un résultat plus propre, même si les proportions ne sont pas identiques au bezel du Picade – qui est tout gris, donc un peu tristoune.

Le bezel pas top, avec ses coups de cutter visibles

Le bezel pas top, avec ses coups de cutter visibles

Le control panel et le marquee quant à eux sont parfaitement imprimables sur n’importe quelle imprimante personnelle, mais le premier va nécessiter pas mal de boulot de découpe histoire de percer les trous des boutons et du stick. Là encore, utiliser les gabarits ou tout simplement se servir de celui fourni pour tracer au crayon les emplacements permet de s’y retrouver. Pas grave si vous vous loupez ou dépassez un peu, les clips des boutons et le dust washer du stick couvriront les imperfections.

Le marquee rend très bien pour un truc qui sort d'une imprimante à $80

Le marquee rend très bien pour un truc qui sort d’une imprimante à $80

Pour les côtés, j’ai décidé d’imprimer des autocollants en utilisant là encore les illustrations d’origine de la borne. Je suis passé par StickerYou pour $13 mais rien ne vous oblige à utiliser un site américain, il y en a certainement un plus près de chez vous qui vous économisera d’inutiles frais d’expédition.

Et hop, un sticker de chaque côté

Et hop, un sticker de chaque côté

Deux stickers d’un format de 50mm x 50mm suffisent largement si cette option est disponible. Une fois collés ces stickers donneront à votre bartop une petite touche sympathique.

Le stick et les boutons

Le stick et les boutons fournis avec le Picade sont de bonne facture, mais quitte à se faire plaisir, autant remplacer tout ça par du vrai matériel professionnel. J’ai opté pour un joystick Sanwa JLF-TP-8YT avec une boule Seimitsu LB-39, et une série de pushbuttons Seimitsu 30mm PS-14-K. J’en ai eu pour environ $59 au total sur FocusAttack.com, frais de port inclus. Le joystick se visse aisément sur le control panel et seul le câblage diffère quelque peu, avec une nappe finalement plus propre dont les différentes pattes sont reliables directement à la PCB.

Un stick à bubulles, et des boutons translucides

Un stick à bubulles, et des boutons translucides

Les boutons utilisent quant à eux exactement la même connectique, il suffit donc de les substituer. La PCB du Picade émettant une petite lumière blanche lors de la réception d’un input, j’ai choisi d’utiliser des pushbuttons translucides histoire de profiter de cet effet digne des meilleurs montages JackyPC. La nomenclature des boutons utilisée par RetroArch étant celle de la Super Nintendo, j’ai eu envie d’en adopter le code couleur pour mes boutons.

Un cable management efficace vous évitera bien des maux de tête

Un câble management efficace vous évitera bien des maux de tête

Et puisque le rétroéclairage de Jacky, c’est classe (mais si), j’ai aussi voulu rétroéclairer mon marquee, parce qu’après tout, les vraies bornes le font aussi.

Le rétroéclairage du marquee

Le marquee du Picade est une feuille de papier cartonné prise en sandwich entre deux lamelles de plexi. Si vous avez imprimé votre propre marquee, le papier photo est encore moins opaque que celui fourni. Il est donc idéal pour le rétroéclairage, ce qui enjolivera encore un peu notre bartop.

L'objectif : obtenir un résultat qui ressemble à ça

L’objectif : obtenir un résultat qui ressemble à ça

L’objectif étant d’illuminer l’intérieur de la borne et pas toute la pièce, inutile de voir trop grand : une bande autocollante de LEDs de 50cm à $6 fait largement le job et épousera idéalement le meuble tout en évitant de trop tirer sur l’alimentation du Raspberry Pi.

La bande de LEDs part du côté droit et passe par le haut pour rejoindre le côté gauche

La bande de LEDs part du côté droit et passe par le haut pour rejoindre le côté gauche

J’ai disposé la bande le long des deux parois latérales, au centre des fentes de ventilation, et le long du sommet du meuble, derrière la poignée de transport. L’interrupteur est du côté du verrou de la porte. Une fois allumée, la bande éclaire l’intérieur du meuble suffisamment pour être également visible sous les pushbuttons. Le marquee est désormais lumineux, comme sur les vraies bornes. Il ne manque plus que l’odeur de vieille clope et on s’y croirait.

Un peu de nettoyage là-dedans

Il y a désormais trois câbles USB branchés sur le Raspberry Pi : l’alim de la PCB Picade, l’alim de l’écran, et la bande de LEDs. Pour éviter l’anarchie, un peu de gestion des câbles s’impose. Le kit du Picade fournit deux boucles serre-câbles, mais ce n’est pas bézef. Je me suis tourné vers ces clips adhésifs discrets et efficaces, à $8 la centaine. L’essentiel des petits câbles se situant autour de la PCB, véritable point névralgique, il conviendra de les séparer le plus proprement possible.

La porte, siège du Raspberry Pi, est également pas mal chargée et une gestion des câbles efficace visera à permettre d’ouvrir et fermer le meuble sans prise de tête. Ces câbles étant plus épais (surtout le HDMI) ils supportent moins bien la torsion.

Une fois rangé, c'est un peu plus propre

Une fois rangé, c’est un peu plus propre

Le Pi étant situé assez bas sur la porte il faudra ruser avec les câbles USB, mais le confort de pouvoir ouvrir et fermer la porte arrière librement vaut le coup.

Et le software, dans tout ça ?

Histoire de ne jamais me poser la question de l’espace disponible, j’ai opté pour une carte mémoire micro-SDHC de 64 Go qui offre largement assez de place et de performance pour mes besoins, et ce pour $15.

La principale problématique restante est le choix de la distribution à installer :

    • Celle dont tout le monde parle, RecalBox est extrêmement populaire, et c’est normal : elle est super facile d’utilisation, s’installe en deux temps trois mouvements et n’importe quel tocard peut s’en servir directement. Toutefois, après quelques heures d’utilisation et quelques tentatives pour customiser la chose, il m’est vite apparu que Recalbox est au Raspberry Pi ce que Mandrake était à Linux : la promesse d’un truc super facile d’utilisation pour le neuneu moyen, mais tellement modifié et scripté de partout qu’il devient imbitable pour quiconque chercherait un peu à sortir des clous. La simplicité a un prix, si vous avez la certitude que vous ne voudrez jamais aller plus loin, vous pouvez sans hésiter vous pencher vers RecalBox, mais au moindre besoin un peu spécifique vous devrez attendre que les devs le proposent, d’autant plus que la documentation spécifique fournie est légère, pour rester gentil.
    • Lakka est une distribution solide, qui a l’avantage de fonctionner non seulement sur Raspberry Pi, mais aussi sur PC classiques. C’est aussi un inconvénient dans notre cas, puisque certaines spécificités du Pi sont moins bien gérées. C’est peut-être la distribution la plus austère de toutes du point de vue des outils fournis pour la configuration, mais si vous avez déjà l’habitude d’utiliser RetroArch vous serez en terrain connu et tout y est standard, donc facilement customisable.
    • Enfin, la distribution sur laquelle mon choix s’est porté, RetroPie, est tout simplement la mieux fichue, la plus clean, la plus adaptée au Raspberry Pi de toutes. Pour commencer, vous trouverez sur GeekZone un excellent dossier en deux parties, l’installation et la configuration de RetroPie. Le dossier date un peu, mais l’essentiel est toujours d’actualité même sur les dernières versions. Si besoin est, la documentation de RetroPie est exhaustive et d’excellente qualité, et c’est bien ça le plus important.
Strangers in the night... lalilalalilala...

Strangers in the night… lalilalalilala…

Petits détails et conseils divers :

    • Pour alimenter les LEDs en plus de l’écran et de la PCB, je recommande de passer l’intensité du courant à 1.2A en ajoutant la ligne max_usb_current=1 dans le fichier config.txt de la partition de boot sur la MicroSD. Attention, n’utilisez pas une alimentation chinoise cheap avec votre Pi dans ce cas parce qu’elle pourrait éclater ou prendre feu (sans rire). L’alim officielle du Pi fait l’affaire.
    • Pour que l’écran du kit Picade soit reconnu au boot, il faut également que la ligne hdmi_force_hotplug=1 soit présente dans ce même fichier config.txt
    • Il peut être utile d’avoir un fer à souder à disposition : l’une des soudures d’un de mes haut-parleurs était cassée quand j’ai déballé mon colis. Ça s’est résolu en quelques secondes, même pas besoin d’étain, mais j’ai quand même dû acheter un fer (à $12).
    • L’outil de setup de RetroPie est très complet et bien fichu, n’hésitez pas à tester un peu tout ce qui y est proposé, je recommande notamment d’activer « Launch Menu Art » dans la configuration de runcommand qui permet d’afficher un artwork lors du lancement d’un jeu au lieu du menu moche par défaut.
    • Par défaut, le volume du canal principal du Raspberry Pi est extrêmement bas, du coup en augmentant à fond via les boutons de tranche on entend une sorte de sifflement désagréable. Pour y remédier, la solution la plus efficace consiste à ouvrir une ligne de commande et y lancer le mixer de contrôle de volume. Pour la ligne de commande, vous avez le choix entre brancher un clavier au Pi et quitter EmulationStation, ou vous connecter au Pi en SSH. Quel que soit votre choix, une fois connecté, lancez alsamixer et utilisez soit le joystick vers le haut, soit la touche « haut » de votre clavier. Une fois obtenu le volume voulu, quittez avec la touche ESC, puis à la ligne de commande tapez exit. Normalement, le sifflement aura disparu.
    • L’un des plus gros bordels incompréhensibles pour le profane, c’est la gestion des ROMs de jeux d’arcade. Pour faire simple, les jeux d’arcade que vous allez récupérer sur Internet (ou que vous allez dumper vous-mêmes, mais ne vous moquez pas du monde, vous n’auriez pas besoin de cet article si vous saviez faire ça) seront parfois incompatibles avec les émulateurs que vous voulez utiliser. Ici encore, la doc de RetroPie vous sera d’une grande aide avec ce descriptif des différentes versions compatibles avec les émulateurs fournis.
    • Question perfs, Final Burn Alpha surpassera toujours MAME, mais ce dernier a un avantage non négligeable : le fichier HISCORE.DAT qui sauvegarde vos high scores même si vous éteignez votre borne. Si vous voulez la vraie expérience de l’arcade, vous voulez ce fichier, donc vous voulez utiliser MAME.
    • Préparez-vous à passer du temps pour configurer les contrôles de chaque ROM, ce qui fonctionne sur un jeu d’arcade ne fonctionnera pas forcément avec le suivant. Je recommande de commencer par configurer les touches dans RetroArch, puis de n’utiliser que des versions de MAME de libretro afin de profiter de cette configuration par défaut, et de retailler la configuration MAME jeu par jeu en fonction des besoins.
    • Si le scraper ne trouve pas un de vos jeux, n’hésitez pas à contribuer à TheGamesDB ! Le site est moche, mal foutu, lent à pleurer et plante sans arrêt, mais plus de gens contribueront, moins les scrapers galèreront pour générer les fichiers gamelist.xml d’EmulationStation
    • Autant rester raisonnable : à quoi bon coller un romset complet de 18000 jeux et ses 35 clones par titre si c’est pour perdre vingt minutes à trouver celui que vous voulez lancer dans une liste interminable ? Surtout que sans vouloir jouer les faux-culs, il n’y a aucune chance que vous ayez légalement les droits sur la totalité de ces jeux de mah-jong taiwanais inclus dans le pack. Alors que plein de jeux Neo-Geo directement utilisables dans MAME ou Final Burn Alpha sont vendus par DotEmu pour une bouchée de pain, notamment dans un Humble Bundle !

 

Y'a plus qu'à aller se tapeeeeer ouaiiiiis !!

Y’a plus qu’à aller se tapeeeeer ouaiiiiis !!!

J’espère que ce petit guide vous aura donné envie de vous lancer ! En ce qui me concerne, je pense customiser une deuxième Picade que je vais relier à la première pour jouer à deux en réseau. Mais pas tout de suite : même si au total j’ai dépensé $375 « seulement », ce qui est peanuts comparé au prix d’un bartop dans le commerce, il s’agit quand même d’une dépense non négligeable. Mais quand on aime…

« Kwyxz est joueur depuis 1985. Multiplateformes, multigenres, souvent exigeant, parfois tatillon, mais jamais blasé. » C’est la description de l’auteur de ce dossier, que vous trouverez sur son propre site, Gaming Since 198x. Il est reproduit ici avec son autorisation et quelques corrections. Et pour les curieux, c’est aussi lui qui va nous aider à déménager et gérer le nouveau serveur très bientôt et s’il indique tous les prix est en dollars, c’est qu’il vit à Los Angeles depuis des années !

 


 

  1. illustration qui entoure l’écran
  2. illustration qui surplombe l’écran
  3. illustration sous le joystick et les boutons

 

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