La saga Marvel Studios, 22ème partie : Black Panther, Wakanda forever !

Dire qu’on aura attendu l’arrivée du roi T’Challa sur grand écran relèverait du doux euphémisme. Projet initié dès 1992, et longtemps porté par un Wesley Snipes plus que motivé, Black Panther, le 18ème film du Marvel Cinematic Universe, a débarqué dans les salles obscures ce mercredi. Chronique d’un projet qui aura pris le temps d’acérer ses griffes.

Black Panther

Préambule : comme l’axe central de cette saga concerne l’univers cinématique, on ne s’attardera pas ici à retracer l’histoire de Black Panther dans les comics. Cependant, si le sujet vous intéresse, sachez qu’on lui a consacré deux “focus” dans notre podcast Les Clairvoyants : un spécifique sur T’Challa, l’autre plus général sur le Wakanda. On vous invite donc à y jeter une oreille si vous désirez en apprendre plus sur ce héros finalement assez méconnu du grand public.

Black PantherApparu pour la toute première fois dans les pages de la série Fantastic Four en juillet 1966, le personnage de Black Panther (inventé par l’infatigable duo Stan Lee et Jack Kirby) aura pris son temps pour trouver le chemin du grand écran. Pourtant, on en parle dès 1992, à l’époque où les comics n’ont pas encore percé au cinéma (le X-Men de Brian Synger qui va initier l’âge d’or des comics au cinéma ne sortira qu’en 2000). Et contre toute attente, c’est ce bon vieux Wesley Snipes qui va prendre le projet à bras le corps et tenter de mettre sur pied une adaptation ciné digne de ce nom.

Mais même si l’acteur va s’y investir plus que sérieusement, faute de temps, il ne va jamais réellement réussir à enclencher la deuxième et dépasser les bonnes intentions. D’autant plus qu’il est déjà fortement accaparé par une autre franchise de la Maison aux Idées, Blade, le chasseur de vampires. Il ne lâche pour autant pas l’affaire, et relance l’idée dès janvier 1994, négociant avec Columbia Pictures et réussissant même à recruter Stan Lee, en mars de la même année, pour superviser le développement du scénario.

Snipes rencontre également de potentiels réalisateurs pour le projet, comme Mario Van Peebles (New Jack City) ou encore John Singleton (Boyz n the Hood), mais sans succès. Après un bref regain d’intérêt, le film replonge dans l’oubli jusqu’en janvier 1996, lorsque Lee sort de sa réserve pour expliquer que s’il ne s’est encore rien passé, c’est avant tout parce qu’il n’est pas content des scénarios qu’on lui propose. En outre, Snipes explique de son côté que le film est assez délicat à vendre aux studios, qui pensent toujours qu’il s’agit d’un film sur… le parti des Black Panthers.

Le projet fait à nouveau parler de lui en juillet 1997, lorsqu’il apparaît dans la liste officielle des films Marvel Comics en cours d’adaptation. Ensuite, c’est de nouveau le silence radio. La rumeur raconte qu’en mars 1998, Marvel aurait confié le projet à Joe Quesada et son acolyte Jimmy Palmiotti, déjà responsables d’un « reboot » du personnage pour la série de comics Marvel Knights (lire à ce propos le premier chapitre de cette saga). Mais les faits ayant été depuis démentis par Quesada lui-même, on se gardera bien d’y accorder trop de crédit. Les mauvaises langues diront qu’on a sans doute échappé au pire…

Blade Panther

Black Panther

Je n’aime pas dire du mal, mais je pense qu’on a tout de même échappé au pire.

Début 1998, Wesley Snipes annonce que la production devrait a priori commencer l’année suivante, et qu’il sera à la fois devant et derrière la caméra. Malheureusement, le sort semble s’acharner, et en août 1998, Marvel (qui traverse une difficile période de réorganisation après la fusion avec ToyBiz) déclare que le projet est officiellement mis en pause pour une durée indéterminée.

Il replongera dans l’oubli quasi total jusqu’en mars 2002, quand Snipes (toujours lui) en refera mention lors d’interviews, expliquant qu’en 2003, il ne sait pas encore trop s’il va bosser sur Blade 3 ou le fameux Black Panther. Finalement, il choisira de clôturer la trilogie du chasseur de vampires, avec le résultat dispensable qu’on connaît…

En septembre 2005, vous connaissez désormais l’histoire aussi bien que moi, Marvel Studios annonce, via son président Avi Arad, la mise en chantier de dix films produits en interne, films qui déboucheront comme on le sait sur la création du Marvel Cinematic Universe. Et à cette occasion, il reparle de la Panthère Noire, et précise qu’elle fait partie des dix heureux élus prévus pour une adaptation ciné. A priori, Snipes (qui ne lâche décidément rien) est toujours rattaché au projet et déclare même en juin 2006 qu’il sera bientôt en mesure d’annoncer un réalisateur.

Pourtant, en février 2007, quand Kevin Feige confirme à un public qui s’impatiente que le film est toujours bien à l’ordre du jour, il n’est plus fait mention de l’ami Wesley. On soupçonne que l’âge avancé de l’acteur (qui a déjà près de quarante balais à l’époque) a dû faire partie des facteurs ayant amené à son évincement. Quoi qu’il en soit, il ne semble garder aujourd’hui aucune amertume de ne pas avoir été plus impliqué sur le produit final, et en relatait encore récemment le développement avec candeur dans de nombreuses interviews.

On reparle en revanche de John Singleton autour de juillet 2007, quand la chasse au réalisateur s’ouvre. Mais une fois de plus, on en saura guère plus et ce sera de nouveau le mutisme total chez Marvel Studios, jusqu’en 2009. Cette année-là, Feige et sa troupe savourent les premières heures de gloire du MCU, et décident d’embaucher une équipe de jeunes scénaristes pour plancher sur des adaptations ciné de franchises moins populaires, dont Black Panther. Un projet supervisé à l’époque par Nate Moore, le grand patron de cette écurie de jeunes scribouillards, c’est dire s’il est pris au sérieux.

Who’s the Boseman ?

Black Panther

RDJ, visiblement très content d’avoir déjà piqué Boseman à Chris Evans.

Pourtant, depuis 1992, vue de l’extérieur, sa progression apparaît surtout très lente. Un chantier laborieux qui est sans doute à imputer au haut degré de risque qu’il implique. À l’image des autres studios, la division ciné de Marvel est sans conteste quelque peu échaudée par l’idée de miser sur un film de super-héros au casting majoritairement noir. À tort ou à raison, là n’est pas la question. Mais cette frilosité explique sans doute pourquoi il aura fallu attendre 2014, et la grosse conférence “Phase 3” du studio, pour obtenir enfin une annonce officielle, dans le marbre, avec date de sortie, acteur principal et tout le toutim.

Pour incarner la célèbre Panthère, Marvel Studios mise sur un petit jeune qui monte, Chadwick Boseman, repéré notamment dans Get on Up, le biopic sur James Brown, où il incarnait avec brio l’illustre roi du funk. Une tendance à aller chercher des visages méconnus pour leurs premiers rôles que Feige entretient depuis toujours, et qui se confirme une fois encore. En revanche, fait assez rare, Boseman ne passera pas d’audition pour le rôle, réussissant à convaincre les producteurs de le lui confier après une longue discussion passionnée autour du personnage et des comics originaux, dont il est fan depuis qu’il est ado.

À la surprise générale, Kevin Feige précise que le héros va d’abord faire une première apparition dans Captain America: Civil War, avant de prendre la tête de sa propre franchise, dont l’arrivée est prévue initialement pour le 3 novembre 2017. Un choix intelligent qui permet à Marvel Studios d’éviter l’écueil du premier récit à la sauce “origin story”, en introduisant les bases du héros et le cadre géopolitique du Wakanda dans un film antérieur.

Très vite, l’annonce du film prend une tournure politique qui rajoute une pression supplémentaire au studio. Parmi les premières questions qu’on décoche à Feige en interview, celle de l’embauche d’un réalisateur et d’un scénariste noirs revient avec une régularité métronomique. Une volonté que confirme le patron du studio, précisant néanmoins qu’au final, ils choisiront ceux qu’ils estiment les plus compétents.

Un Creed dans la nuit

Black Panther

Ryan Coogler expliquant ici à Chadwick Boseman qu’il est bien gentil, mais que la pause est finie là.

Histoire de s’assurer que le processus de recrutement débouchera sur un choix qui satisfait tout le monde, le studio va prendre son temps. Feige ne commence à rencontrer de potentiels candidats que plusieurs mois après l’annonce, dans la foulée de la sortie d’Age of Ultron dans les salles. Pendant ce temps, le projet n’avance pas beaucoup : en coulisses, début 2015, on est toujours officiellement en phase de “brainstorming”. Une lenteur qui va d’ailleurs amener Marvel Studios à repousser la date de sortie au 6 juillet 2018.

En mai 2015, Feige rencontre la réalisatrice de l’excellent Selma, Ava DuVernay, pour lui proposer le bébé. Une offre qu’elle finira par décliner en juillet, citant les sempiternelles “différences créatives” avec la production. Trois mois plus tard, deux nouveaux noms de candidats potentiels émergent : F. Gary Gray (Straight Outta Compton), qui avait déjà été approché pour Captain America: The Winter Soldier, et Ryan Coogler, repéré pour Fruitvale Station (son long métrage sur la mort d’Oscar Grant, un jeune afro-américain de 22 ans tué en 2009 par la police).

Gary Gray décline à nouveau la proposition, choisissant d’aller plutôt réaliser le huitième opus de la saga Fast & Furious (on ne le jugera pas), et du côté de Coogler, les négociations marquent un temps d’arrêt pendant plusieurs mois. En attendant de trouver à la panthère son futur papa, Marvel Studios ne garde pas les mains en poche et confie à un des ses jeunes scénaristes maison, Joe Robert Cole, la rédaction d’une nouvelle mouture du scénario.

Finalement, c’est en décembre 2015, avec la sortie remarquée de Creed au cinéma, que Marvel Studios va décider de relancer la piste Coogler, et réussir en janvier 2016 à le débaucher pour superviser ce délicat projet d’adaptation. Seul prérequis du réalisateur : pouvoir bosser avec son équipe de collaborateurs habituels, histoire de s’assurer que le film portera autant la patte de Marvel que la sienne. Une requête que le studio lui accorde bien volontiers.

Le noir en Coogler

Black Panther

Une chouette photo de famille pour un cast fantastique.

Coogler s’investit également dans l’écriture du scénario final, prêtant main forte à Cole dès le mois d’avril 2016. Sa principale source d’inspiration, ce sont les arcs écrits par Ta-Nehisi Coates, auteur avant tout politique, venu aux comics sur le tard de sa carrière, et qui maîtrise du coup plutôt bien les problématiques de la minorité noire. Mais pour autant, n’allez pas croire que Coogler ne se concentre que sur le message politique du film. Il s’amuse aussi avec l’univers des comics, allant même jusqu’à tenter d’intégrer dans son récit des personnages comme Kraven the Hunter ou, encore plus improbable, Patriot.

Finalement, aucun des deux ne survivront aux différentes itérations du scénario. Mais l’anecdote montre que Coogler, même s’il est conscient de l’importance culturelle que risque d’avoir son film, n’en oublie pas pour autant qu’il s’agit aussi d’une histoire de super-héros, avec tout ce que ça peut impliquer comme éléments plus légers. Il ne perd pas non plus de vue que la famille mérite une place de choix dans son récit, et recrute à ce sujet les frangins Glover (Donald et Stephen, qui signent l’excellente série Atlanta) pour l’aider notamment à approfondir le relationnel entre T’Challa et sa sœur Shuri.

En parallèle, le processus de casting bat son plein. Heureusement pour Marvel Studios, encore plus que d’ordinaire, on se bouscule pour y faire une apparition. C’est le contrepoids à la pression que génère un projet d’une telle importance culturelle : tout le monde veut en faire partie. Demandez à Samuel L. Jackson, curieusement absent du générique, ce qu’il en pense.

Je leur ai aussi demandé « Mais quoi, vous faites un film Black Panther et le seul personnage noir de l’univers Marvel n’y est pas ? » Et ils ont fait genre « Nick Fury n’est pas au Wakanda ! ». Comment peut-il ne pas connaître l’autre super-héros noir de la planète ? Comment diable est-ce que ça se justifie ? Mais ils m’ont dit : « Non, tu n’es pas dans celui-là ». (Samuel L. Jackson)

Pas content, Sam. Et on le comprend, même si cela se justifie d’un point de vue narratif, on aurait aimé qu’il y soit, pour le symbole. Quoi qu’il en soit, on n’a pas vraiment à se plaindre des têtes d’affiche sélectionnées : Forest Whitaker, Angela Bassett, Sterling K. Brown, Daniel Kaluuya, Michael B. Jordan… Ouais, il va y avoir du beau monde à l’écran.

Un pavé de Lamar

Black Panther

Shuri <3 (Si Marvel Studios n’en fait pas la future Iron Heart, je préviens, je boude.)

Le tournage se déroulera sans encombre de janvier à avril 2017, principalement à Atlanta, et en coordination avec celui d’Infinity War (qui s’y déroulait au même moment), histoire de s’assurer d’une totale cohérence dans la manière dont y est représenté le Wakanda. Paradoxalement, l’équipe ne se déplacera que pour visiter la Corée du Sud, sans jamais poser leur matos en Afrique, même si Coogler en avait très tôt manifesté l’intention. Une occasion manquée, sans conteste.

Pour la musique, Coogler va opter pour une pratique déjà éprouvée avec Iron Man 2 et The Avengers : le doublé ! D’un côté, une bande-son orchestrale classique, signée Ludwig Göransson (qui signait déjà celle de Creed, mais produit aussi un certain Childish Gambino), et de l’autre, un album “inspiré du film”, qu’on doit lui au populaire et talentueux Kendrick Lamar. De quoi assurer un coup de promo supplémentaire à un film qui, pour être franc, n’en avait pas vraiment besoin.

Sorti chez nous mercredi, disponible dès demain dans les salles US, on prédit déjà à ce Black Panther un succès phénoménal. Deuxième long métrage le plus attendu de l’année derrière Avengers: Infinity War, le film a déjà battu les records de prévente de Civil War et de Batman vs. Superman, et les experts lui prédisent un joli 400 millions de dollars, rien que pour le territoire nord-américain. Reste à voir ce qu’il fera de notre côté du globe, mais, spoiler alert, on l’a vu, il est excellent, et on ne se fait pas trop de souci pour lui.

Comme dans les comics, où le Wakanda a pris son temps avant de révéler son existence au reste du monde, le film Black Panther aura pris la peine de mûrir en secret pendant de longues années. Et bon sang, ça valait grave la peine d’attendre ! Prochaine étape pour Marvel Studios, le premier volet de ce qui devrait être la conclusion de la Phase 3, et du MCU tel qu’on le connaît aujourd’hui : Avengers: Infinity War. Plus que 69 fois dormir…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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