X-Files : aux frontières du réel

Depuis le dimanche 24 janvier 2016, la Fox diffuse une mini-série dont le titre vous est sans doute familier : The X-Files, Aux Frontières du Réel… Six nouveaux épisodes (a priori diffusés dans le désordre) qui constituent la suite de l’événement phénomène des années 90. Verrouillez votre porte à double tour, éteignez vos portables, baissez vos rideaux, ne mangez que des conserves que vous avez vous-même ouvertes et dites-vous bien qu’ils vous écoutent. Qui ça, ils ? Ben, eux ! Retour sur la série télévisée des dossiers classés « X ». Non, posez cette boîte de Kleenex ! Ce n’est pas ce genre de « X » là…

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Le dimanche 12 juin 1994 sur M6, les téléspectateurs français plongeaient pour la toute première fois dans l’univers complotiste des X-Files (« Aux Frontières du Réel » chez nous), un ovni télévisuel qui proposait du jamais-vu : l’image, la réalisation, le ton… Tout relevait d’une qualité cinématographique jamais atteinte jusqu’alors. Sans parler des scénarios. Certes, plusieurs épisodes suivaient la formule classique des shows du petit écran en se conformant à la formule « un épisode = une histoire », mais il y avait néanmoins un fil conducteur à travers les neufs saisons, et parfois même des épisodes qui étaient incompréhensibles sans avoir vu les précédents. Une chose rare pour l’époque. Oh, et une bonne VF. Encore plus rare. Cette série américaine (et non pas américano-canadienne, contrairement à ce qu’annonce la page française de Wikipedia), relatant les aventures de deux agents du FBI confrontés à l’inconnu, allait changer à nombreuses reprises de jour de diffusion dans notre beau pays. Mais surtout cette déferlante de la pop culture allait s’abattre sur la France et le monde en laissant bien plus qu’un souvenir anecdotique.

Zeu trouffe ize aoutte zère

02_xfiles_logo_classiqueAncien journaliste spécialisé dans le surf (le vrai, avec des planches) et scénariste chez Disney, le créateur de la série Chris Carter s’est inspiré des séries cultes de sa jeunesse (Kolchak The Night Stalker, Dossiers Brûlants en VF, et The Twilight Zone, La Quatrième Dimension en VF) pour créer ce qui deviendra l’œuvre de sa vie.

Le pitch : deux agents du FBI enquêtent sur des phénomènes inexpliqués, allant des fantômes aux vampires, en passant par les extra-terrestres. L’un arbore une personnalité obsessionnelle, en croisade au nom de la vérité; l’autre est une sceptique acerbe placée dans ce service pour le démystifier. Une stratégie qui, comme l’espèrent certains, mènera enfin à sa fermeture définitive. Manque de bol, bien qu’elle ne croie pas à toutes ces sornettes, elle finira par défendre la validité des enquêtes et l’importance du bureau des « affaires non classées ».

Carter imagine les deux personnages comme la personnification de sa foi et de son scepticisme. Mais par un tour de passe-passe, le surfeur/scénariste inverse intelligemment les stéréotypes de genre. Et voilà que la foi prend forme masculine, tandis que le scepticisme devient féminin.

03_xfiles_logo_vfDavid Duchovny, surtout connu jusqu’alors pour son rôle d’agent du FBI travesti dans Twin Peaks, reprend du service de manière fictive mais en laissant son tailleur jupe de côté. Dans X-Files, Duchovny incarne Fox Mulder, un profiler exceptionnel qui, de son propre chef, se concentre sur les dossiers abandonnés et les cas inexpliqués. Quand il était enfant, sa sœur a disparu et il est persuadé qu’elle a été enlevée par des extra-terrestres.

Gillian Anderson hérite quant à elle du rôle de la très terre-à-terre Dana Scully, personnage plus que fortement inspiré par celui de Clarice Starling dans le Silence des Agneaux, fascination morbide avec les tueurs en série oblige. Jeune agent du FBI à peine sortie de l’académie, méthodique, allant jusqu’à avoir la même coupe de cheveux du personnage interprété par Jodie Foster et qui a valu un oscar de Meilleure Actrice à cette dernière en 1992. L’année où Chris Carter a écrit le pilote de X-Files…

Gillan Anderson avouera d’ailleurs plus tard dans des interviews qu’elle a basé son approche du personnage de Scully sur celui de Jodie Foster dans le film préalablement cité. La blague est que plusieurs années après X-Files, on lui proposera de reprendre le rôle de Starling pour Hannibal, proposition qu’elle devra décliner en raison d’une clause de son contrat stipulant qu’elle ne peut pas jouer un agent du FBI en dehors de la série de Carter.

Docteur en médecine et agent du FBI, la demoiselle se voit recrutée pour écrire des rapports sur la validité des "X-Files" en prenant une approche scientifique.

Le pilote diffusé le 10 septembre aux USA est un succès immédiat qui attire douze millions de téléspectateurs dans le pays et le dernier épisode de la saison en ramène quatorze millions. Ce n’est qu’un début car la série atteindra quasiment les trente millions dans sa troisième saison. Toutes les légendes urbaines y sont exploitées, tous les mythes y sont abordés, tout élément fantastique trouve sa place à un moment ou à un autre dans la série. C’est d’ailleurs le seul gros reproche qu’on peut lui faire : tout existe, les vampires, les loups-garous, les spectres, les yétis, les robots, les sorcières, les lutins, les pouvoirs psychiques et les transports en commun qui ne font pas grève. TOUT. C’est à croire que la Terre entière est aveugle et que seul Mulder connaît la vérité. Comme si pendant neuf ans, il avait été le seul à s’y intéresser, aidé de ses trois potes paranoïaques, les Lone Gunmen (très mal traduit en VF par « les Bandits Solitaires », passant ainsi à côté de la référence à la théorie du complot entourant le meurtre de JFK. Trad exacte : les Tireurs Isolés). Mais admettons…

Trust personne

05_xfiles_mulderMélangeant les slogans « I want to believe » (« je veux croire »), « Trust no one » (« ne faites confiance à personne ») et « The truth is out there » (« la vérité est ailleurs »), la série se transforme en phénomène pop-culture qui s’abat sur le monde entier, y compris au Japon où la série atteint la première place à l’audimat, chose inédite pour une série américaine à l’époque.

La France tombe aussi sous le charme et, dans certaines enseignes (commençant par « A » et terminant par « lbum »), les cartes à collectionner se vendent par palettes entières. Comme les bandes dessinées, les mangas, les posters « I want to believe », les faux badges du FBI ou même les faux spécimens de fœtus extraterrestres. Tout y passe.

La série suit deux formules :

  • Monster of the Week ou MotW (« le monstre de la semaine ») qui sont des épisodes « stand alone », format classique, anecdotique et utilisé par de nombreuses autres séries avant et après les X-Files.
  • le Mytharc (« l’arc de la mythologie »), qui se concentre sur la conspiration politico-extra-terrestre que Mulder veut faire éclater au grand jour.

Et c’est surtout ce Mytharc qui suscite le plus grand intérêt, les complotistes y trouvant largement de quoi alimenter leurs fantasmes les plus fous. Appelée successivement « Consortium » puis « Syndicat », l’organisation au centre de cette conspiration n’est ni plus ni moins qu’une variante des Illuminati qui auraient pactisé avec des visiteurs d’un autre monde. Le crash de Roswell en 1947, la Zone 51 et toute la paranoïa véhiculée par Jacques Pradel et sa cassette vidéo toute pougnave se rajoutent à l’engouement.

« Les Envahisseurs… Fox Mulder les a vus ! »

Mon rédac’ chef vénéré mettrait un contrat sur ma tête si j’énumérais toutes les références qui parsèment la série. Mais s’il n’y en avait qu’une à citer, ce serait sans conteste l’apparition de Roy Thinnes, acteur qui incarnait David Vincent dans la série des années soixante « Les Envahisseurs ». Une histoire paranoïaque ayant pour sujet un homme tentant de tirer la sonnette d’alarme à propos d’une cinquième colonne extra-terrestre vivant parmi nous, attendant patiemment le moment pour frapper et envahir notre belle planète… Ça vous rappelle quelque chose ?

Même si on pourrait penser que la série se résume à « la Zone 51 n’existe pas et si vous êtes intelligent, vous arrêterez de poser des questions », il n’en n’est rien. Si ça commence par ce qui semble être un cliché, le Mytharc devient de plus en riche en personnages qui se rajoutent comme de multiples pierres à l’édifice passionnant de Chris Carter. Il y a une version russe du Syndicat qui opère aussi dans l’ombre, l’agent double (ou triple ou indépendant) qu’est Alex Krycek et qui devient partenaire de Mulder, un « indic » nommée Gorge Profonde (en hommage au scandale du Watergate), Mr. X (une autre référence au Watergate) et même une huile noire qui contamine et plie les gens à sa volonté avec pour projet d’être distribuée via du maïs transgénique. Les deux dernières saisons verront l’apparition de deux autres agents : Monica Reyes et John Doggett, joué par Robert Patrick (inoubliable en T1000 dans Terminator 2), qui aideront Scully alors que Mulder est mystérieusement manquant et n’apparait que de manière sporadique. Ceci étant expliqué par le fait que le contrat des deux stars d’origine prenant fin, Duchovny en profita pour se mettre à mi-temps.

Et la reconnaissance n’est pas que dans les yeux des fans car l’industrie félicite amplement la série en lui donnant soixante-cinq récompenses dont Meilleure Série aux Golden Globes en 1994, 1996 et 1997.

Aie ouante tou bilive

Et puisqu’on parle de 1997, c’est durant cette année qu’un événement étrange fit beaucoup de bruit par chez nous, événement qu’on ne put bien entendu pas s’empêcher de relier à la série. L’histoire se passe dans le département du Nord, au lycée-collège Eugène-Thomas de Quesnoy. De nombreux élèves présentent soudainement des rougeurs et démangeaisons au niveau du visage et des mains. Les adultes ne sont quant à eux pas touchés et, fait encore plus troublant, les cas apparaissent spécifiquement durant certaines périodes de la semaine. Plusieurs personnes font immédiatement le lien avec l’épisode d’X-Files « la Guerre des coprophages », rediffusé quelques jours auparavant.

Panique. Fermeture de l’établissement. L’hypothèse de toxi-infection alimentaire collective est d’emblée écartée. Les médias s’emparent de l’affaire et baptisent l’incident le « X-Files Syndrome ». Quelques cas seront déterminés comme auto-infligés suite à des frottements avec de la laine, du cuir ou de la soie. Mais le reste des patients seront bel et bien diagnostiqué comme victimes d’un phénomène psychogénique de masse provoqué par le stress de la distribution des bulletins scolaires, la suggestion de l’épisode et la mauvaise blague de leurs camarades.

Mais revenons au monde de la télé… Forte de son succès, la série X-Files va engendrer plusieurs spin-offs. Tout d’abord, citons le cas des Bandits Solitaires qui auront leur propre série du même nom, série qui ne durera malheureusement qu’une saison. Le monde n’était sans doute pas prêt pour une série télé avec trois geeks pas sexy. Mentionnons également Millenium, qui témoigne encore une fois de la passion indéfectible de Chris Carter pour Thomas Harris (l’auteur de la saga autour d’Hannibal Lecter). Si Dana Scully est inspirée par la recrue Clarice Starling, Frank Black est ouvertement un clone de Will Graham, mais poussé à l’extrême. Son « don » pour se mettre à la place de tueurs en série lui a valu trop de sacrifices et l’a forcé à quitter le FBI. Fatigué, usé même, il découvre l’existence d’une organisation baptisée Millenium et qui pourrait à nouveau le rendre utile. Changeant de ton à chaque saison, la série n’existera que pendant trois ans. Notons que ces deux titres verront leurs histoires prendre fin au sein de X-Files : Aux Frontières du Réel.

X-Files – Fight the Future

06_xfiles_fight_the_futureA la base, Chris Carter voulait clôturer son œuvre à l’issue de la cinquième saison et terminer la saga par une suite de films. Eh bien non ! 20th Century Fox a vu cela d’un tout autre œil. Pour la chaîne, pas question de lâcher leur poule aux œufs d’or. Elle donne néanmoins son feu vert pour une sortie en salles, mais les lois de l’audimat imposent de continuer aussi sur les ondes hertziennes. L’ami Carter se voit alors dans l’obligation de concocter un scénario s’intercalant entre la saison cinq et six, pouvant être vu et compris par des gens n’ayant jamais visionné la série. Qui plus est, il faut caser le tournage durant la pause entre la saison quatre et cinq, soit un an à l’avance, avec la difficulté supplémentaire de respecter la continuité de la série, puisque le film s’intègre dans le fameux Mytharc. La régression schizophrénique ayant été évitée, Chris Carter réussit son pari et le film X-Files : Fight the Future (intelligemment traduit en « X-Files, le film » en VF) sortira en salle en 1998, et rencontrera un succès international. Carter en profitera pour arrêter de tourner à Vancouver (Canada) et rapatrier la production à Los Angeles.

Trois ans plus tard, la tragédie frappe les deux tours du World Trade Center. Et ses conséquences sont politiques, sociales, financières, médiatiques et culturelles.

La fin de X-Files a eu lieu pendant l’administration Bush et après les événements du 11 septembre 2001, nous avons très rapidement compris que les gens ne pouvaient pas simplement s’exprimer ouvertement et publiquement sur ce qu’ils pensaient que nous devrions faire ou pas, suite à ce qu’il s’était passé. Jusque-là, la série avait — et a toujours — principalement pour sujet les complots gouvernementaux. Il y en a à l’heure actuelle qui affirment que le gouvernement a eu connaissance (ou a provoqué) ces événements, ou encore que ça a été une ruse et une excuse pour aller en Irak… Mais ce n’était plus acceptable que des gens puissent accuser le gouvernement de mentir ou de n’être pas digne de confiance. Et c’était la base de notre série. (Gillian Anderson).

Le show prend fin le 19 mai 2002 aux États-Unis. En France, ce sera en le 22 janvier 2003. Le service des affaires non classées a officiellement fermé ses portes. Laissant une marque indélébile sur la télévision, et de façon plus générale dans la pop-culture, il inspirera plus d’une série : Supernatural, les trois premières saisons de Smallville (toutes les deux tournées au Canada) mais aussi Torchwood, le créateur gallois Russel T. Davies citant X-Files comme source d’inspiration majeure.

X-Files: I Want to Believe

Cinq ans après la fin de la série, un deuxième film sort dans les salles sous le titre I Want To Believe (X-Files : Régénération en VF). Si le premier long métrage se concentrait à mort sur le Mytharc, ce second volet est une caricature d’épisode de « monstre de la semaine ». Et pas un des meilleurs. Les personnages y sont plan-plan, on y apprend que Mulder se cachait mais pas vraiment, qu’il est avec Scully mais pas vraiment, qu’il y a un scénario mais pas vraiment. Bref, on s’en fout. Et nous n’étions a priori pas les seuls, puisque le film sera un échec cuisant. Certains rejetteront la faute sur la sortie de The Dark Knight une semaine auparavant, mais ne nous voilons pas la face : le 2ème long métrage estampillé X-Files était tout sauf mémorable.

07_xfiles_I_want_to_believeCe qui n’empêchera pas de nombreux fans de continuer à s’emballer pour l’univers, comme le démontre la sortie de nombreux comic books poursuivant l’histoire jusqu’aux saisons dix et onze.

La verite est ailleurs… et surtout de retour sur la FOX

Après l’échec cuisant de son pilote The After pour Amazon (passé sous le radar de pratiquement tout le monde), Chris Carter voulait relancer la machine X-Files avec un troisième film, mais dû finalement abandonner l’idée après trois tentatives infructueuses de monter le projet. C’est finalement en télé que la série renaîtra de ses cendres, projet initié en janvier 2015 sous l’impulsion du PDG du Fox Television Group, Gary Newman.

Carter accepte d’emblée. Duchovny se remettait de plusieurs années sur Californication et Aquarius (ou sa Némésis n’était autre que Charles Manson). Suite à sa série britannique (elle habite à Londres), The Fall, Anderson avait tourné en tant que psychanalyste du Docteur Lecter dans la série télé Hannibal. Une fois surmontée la difficulté de trouver un moment pour réunir les trois principaux « éléments » de la série (Carter, Duchovny et Anderson) malgré leurs emplois du temps chargés, le retour peut enfin s’amorcer.

Dernier petit accroc à régler : Gillian Anderson se voit offrir la moitié du salaire de Duchovny pour réintégrer la série. Une offre qu’elle ne peut décemment accepter, considérant que son personnage représente plus qu’un vulgaire sidekick. Heureusement, après quelques houleuses négociations, les deux stars se retrouveront finalement sur un pied d’égalité financier.

Je veux croire

Alternant Mytharc et monstre de la semaine, la Fox diffuse le premier épisode le dimanche et le deuxième le lundi, histoire de frapper un grand coup. Carter nous prouve que son bébé n’est pas mort. Loin de là. Tout les éléments qui ont fait le succès de la série originale sont présents : la conspiration, la parano, le ton espiègle et dark en même temps. Le gouvernement en prend plein la tronche, George W aussi au passage, et la série se moque des émissions réacs sévissant sur Youtube. Il y a même une référence au nazisme (le titre « My Struggle » est la traduction anglaise de « Mein Kampf »). Même le générique est d’époque. Comme si la série ne s’était jamais arrêtée. J’ai carrément hésité à chercher une VHS pour enregistrer, par réflexe (saloperie de trilogie du samedi soir). Maudit sois-tu, M6 !

09_xfiles_2016Si vous avez encore le moindre doute sur le fait que cette série constitue une pierre angulaire de l’histoire de la télévision, posez-vous simplement cette question : vous en connaissez beaucoup des séries qui ont des accessoires qui terminent au Smithsonian’s National Museum of American History (dont le scénario du pilote et le poster « I Want To Believe »), et qui reprennent là où elles s’étaient arrêtées quatorze ans plus tôt comme si de rien n’était ? C’est bien ce que je pensais…

X Files I Want to Believe


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