Shadow : après les promesses, le bilan

Shadow, tout le monde connaît ou presque. C’est le service de streaming qui permet d’avoir un PC relativement puissant “in ze cloud”, dont la presse française chante globalement les louanges depuis le départ. On télécharge le client Shadow sur un vieux Mac, un PC à bout de souffle, et hop, ça se connecte sur ce PC magique “virtuel” sous Windows 10, dont vous n’aurez jamais à changer la moindre pièce vous-même. La solution parfaite ? Une nouvelle ère ? Malheureusement, tout n’est pas si rose, loin de là…

Shadow Banner

Note : si vous ne connaissez pas du tout ce service, je vous conseille la lecture de ce dossier Numerama.

Oui je sais, Shadow, c’est aussi des boîtiers dédiés, mais ils ont l’air maintenant totalement optionnels, donc je n’en parlerai pas. J’ai principalement concentré mes tests sur leurs clients Windows et macOS, en version officielle et bêta. J’ai également eu l’occasion de tester la chose sur différentes connexions (xDSL, fibre), différentes machines, et d’en discuter avec de nombreux utilisateurs. Rien que sur notre forum, il y a pas mal de fans depuis 2017. Malheureusement, depuis mes premiers tests, je n’ai jamais partagé leur enthousiasme. Il était temps que je me plonge dans les dernières versions, pour voir si maintenant, cette solution était enfin convaincante à mes yeux.

La liste des doléances

Shadow Servers

Il a quand même une drôle de tête, le « cloud »…

La problématique avec ce genre de produit, c’est que la liste des soucis, espérances et déceptions varie en fonction de l’environnement et de l’utilisateur. Les “chez moi ça marche” et autres “bha moi ça me suffit” se confrontent aux “mais vous avez de la merde dans les yeux ?” assez régulièrement quand on compare les expériences. Je vais détailler au mieux la mienne. Pour info, c’est la version longue de ce que j’ai fait pour le podcast Torréfaction n°73.

Pixels farceurs

Quand on regarde les feedbacks ultra positifs de certains utilisateurs, on se demande s’ils ont touché un PC moderne récemment, ou s’ils sont victimes du biais cognitif de l’acheteur. Parce que le cœur du problème, ça reste quand même la qualité du stream vidéo qui arrive chez vous. Et là, il faut bien constater que c’est très variable. Déjà, quand on me dit “en 1080p c’est propre”, je réponds un mouif dubitatif. Les problèmes sont les mêmes que dans ma résolution préférée, le 2560×1440, que l’on retrouve sur tout bon 27′ et qui est pour moi le bon compromis entre une 4K overkill et du 1080p étriqué. Quels problèmes ? C’est plus ou moins visible en fonction du jeu, de votre connexion, voire de la machine hôte, mais le résultat est globalement identique à chaque fois : on voit assez facilement que c’est un stream vidéo ! Dans certains cas critiques, comme Warframe, ça tourne parfois vite à la bouillie de pixels. En gros, plus le jeu abuse de certains effets 3D, plus la compression / décompression vidéo galère. Ça me rappelle un peu les encodeurs qui ont du mal sur les scènes où les personnages passent devant des écrans LCD géants, ou sont sous une douche de paillettes… Évidemment, plus la résolution est élevée, plus on ressent le phénomène.

Shadow Caret

Le système de compression ruse de très belle manière. Il descend à 5 fps quand il ne se passe rien ou presque à l’écran.

Perds pas la boule

Shadow Launcher

Le logiciel à lancer sur la machine hôte, ici sous macOS.

La synchronisation de la souris s’est révélée également problématique, particulièrement côté macOS, alors que j’utilise le même mulot (une Mionix Naos 7000), avec les mêmes réglages que sous Windows… En gros, je perdais régulièrement le contrôle de cette dernière dans les jeux. Pas complètement, il était encore possible de bouger un peu, très lentement. Tout revient à la normale de manière aléatoire, parfois avec quelques clics droit / gauche insistants. Le problème est pire si on ne verrouille pas le curseur dans la fenêtre Shadow, et j’ai l’impression qu’il est amplifié par le dual-screen physique côté client. Mais aucun test ne m’a permis de trouver une séquence précise qui fait planter le curseur à tous les coups. Comme j’ai eu ce comportement sur des machines avec un seul écran, le problème doit être ailleurs, mais le pourquoi du comment, je laisse aux devs de Shadow le soin de le trouver…

L’autre problématique, inhérente à ce genre de solution “remote”, c’est que même quand la synchronisation est bonne, on a un petit lag dans les mouvements de la souris. Attention, c’est très léger et franchement imperceptible dans les usages courants. Mais dès qu’on parle de gaming un peu haut de gamme, encore une fois, pas de surprise, ça reste pénalisant sur certains titres. Et perdre à cause de ça ne va pas vous amuser très longtemps… Même problème au joypad : le speedrun de Celeste sur Shadow, je pense que ça doit être coton !

Shadow Mac Mission Control

Je râle, mais un Windows qui tourne bien, accessible depuis macOS, ça permet pas mal de choses !

SSDead

Point négatif constaté par tout le monde : la lenteur des accès disques. Encore une fois, c’est plus ou moins pénalisant en fonction de votre usage, mais rien que pour du jeu, l’installation d’un titre Steam surprend par sa lenteur. Les manipulations de fichiers, mises à jour et j’en passe sont beaucoup plus lentes que sur un PC en local avec un “bon” disque dur classique. Si vous avez l’habitude d’utiliser un SSD depuis longtemps, c’est même vite insupportable dans certains cas. J’imagine que la team Shadow bosse sur son infrastructure pour corriger ça, mais pour le moment, c’est vraiment un point négatif indéniable. Précision toujours agaçante quand on aime les choses fiables : ça m’est arrivé d’avoir 2 ou 3 fois des accès disques tout à fait satisfaisants. Pourquoi n’est-ce pas toujours comme ça  ? J’ai bien une idée, mais en attendant que ça soit la norme, je préfère pointer le problème avec un gros doigt énervé.

Toujours côté stockage, il faut noter que vous ne disposez que de 250 Go. Pour 30 euros par mois, ça fait vraiment peu quand on considère le public visé. Un jeu AAA fait maintenant entre 50 et 100 Go, autant dire que ça va se remplir vite ! Il est normalement possible d’étendre cette capacité à 1 To, mais l’offre n’est plus disponible depuis plusieurs semaines…

Shadow Stockage

Dans les pépins certainement plus liés à un bug Windows que Shadow, j’ai eu des pépites. Genre la fenêtre “Shadow 1st Steps” qui veut absolument s’afficher à chaque démarrage alors que j’ai bien cliqué sur “ne reviens jamais, casse-toi”. Reboot, hop, WELCOME ! Gnnnhhh…

Shadow Conf Stats

Stats et control panel en action sur un Windows « made in Shadow ».

Je vous épargne les bugs temporaires plus ou moins pénibles, mais le dernier en date était “amusant” : bouger une fenêtre avec la souris bloquait visuellement dès le début du mouvement. La fenêtre ne bougeait que de quelques pixels, mais le curseur était toujours actif. Elle n’apparaissait que lors du relâchement du bouton de la souris. Un reboot et c’était réglé, mais ça reste une perte de temps dont on se passerait bien.

Il en reste, je vous l’offre

On terminera sur les freezes / saccades sur certains titres ou les plantages sonores sur Destiny 2, titre qui arrive à saturer la machine virtuelle. Il sait aussi le faire avec un PC normal, je vous rassure. Shadow change la forme de ce bug : au lieu de “perdre” le son pendant quelques secondes, on a droit un « buzz » bizarre le temps que ça revienne à la normale… En local, ça arrive à chaque session de jeu avec une 1080. Je n’ai jamais eu le problème avec le même PC et une RTX 2080.

J’en profite pour noter que jouer à Destiny 2, ou tout autre titre d’Activision / Blizzard n’est pas une bonne idée : leurs conditions d’utilisation interdisent de jouer via une machine dans le cloud ! Certainement pour limiter le partage de compte / hacking / etc. Du coup, vous pouvez vous faire bannir à tout moment si vous ne respectez pas ces conditions. Pour le moment je ne connais personne à qui ça soit arrivé, mais vous êtes prévenus…

Ring of Elysium semble faire le ménage de la même manière et certains utilisateurs sont virés d’une partie sans ménagement, a priori quand l’anticheat comprend que vous êtes sur une machine virtuelle. Ce genre de situation va vite être problématique si ça se généralise.

Dans les derniers soucis, je note surtout l’impossibilité de bosser en double écran avec un Shadow. Logique vu le défi technique que ça représente, mais ça stoppera net plus d’un client potentiel. Il est également compliqué de faire reconnaître certains périphériques un peu exotiques, mais encore une fois, les cas sont trop variés pour s’étendre dessus dans cet article. Sachez juste que ça peut être bloquant si vous aimez les jeux de voiture avec volant, la simulation de vol, etc.

Rangez les fourches

Après ce déroulage de problèmes, on pourrait penser qu’on est devant Hubic, le retour. Un service intéressant sur le papier, mais catastrophique à l’usage. C’est loin d’être le cas. Shadow reste un tour de force technique, qui rend un service sans concurrence pour pas mal d’utilisateurs. Le problème c’est qu’en 2019, les problèmes évoqués commencent à être moins excusables qu’au lancement de l’offre. Heureusement, la plupart ne seront jamais rencontrés, ou en tout cas ressentis comme des raisons de se désabonner. La qualité du stream vidéo suffit pour de nombreux usages et ne semble pas choquer les rétines de certains. Tant mieux pour eux.

Ori Shadow Mac

Ori, depuis un Shadow, sous macOS. La compression JPEG n’aide pas la compression Shadow… Mais du coup on voit bien le problème.

En revanche, pour tenir ses promesses et continuer de séduire de nouveaux abonnés, Shadow est condamné à une course en avant compliquée. Nous sommes en 2019, les GTX 1080 ne font plus rêver (elles sont sorties mi-2016), et certains se demandent déjà où sont les upgrades vers les cartes graphiques Nvidia RTX 2080 & co. Spoiler : rien n’est prévu officiellement, les 1080 étant considérées comme suffisantes pour le moment, ce qui est loin d’être techniquement faux. En revanche côté marketing, ça risque d’être un problème, qui ne va qu’empirer. Quand on voit les embûches rencontrées par le service pour gérer son stockage, je serais tenté de dire qu’ils ont effectivement d’autres chats à fouetter. Ça montre malheureusement leur difficulté à monter en puissance. Le jour où ils décideront de changer ces cartes, je suis curieux de voir combien de temps ça prendra pour servir tout le monde !

Et l’avenir dans tout ça ?

Côté business, Shadow va également devoir survivre à la pression de services clés en main, à mon sens plus malins sur le long terme. L’avenir, je ne le vois pas dans un PC à gérer sur le cloud, avec la transposition de tous les problèmes actuels (mise à jour, problèmes de Windows, etc.) sur une machine distante. Côté jeux vidéo, les services de streaming préparés par Amazon, Google ou déjà en place côté Nvidia par exemple, sont beaucoup plus adaptés à un public qui ne sait déjà pas toujours gérer son smartphone correctement ! La fameuse génération “Digital Native” est nulle en informatique. Ceux qui n’ont aucun goût pour les ordinateurs savent se servir des outils indispensables, mais ils sont globalement aussi mauvais que les générations précédentes. Il ne fait aucun doute qu’un vrai “Netflix du JV”, avec une tarification raisonnable, fera un carton à terme. Impossible de perdre votre sauvegarde, votre jeu toujours à jour sans votre intervention, et une qualité d’image qu’on espère à la hauteur. Oui, il sera impossible de jouer sans connexion Internet correcte, mais c’est déjà souvent le cas… Shadow est un service cher (360 euros par an, sans option) qui va devoir évoluer pour justifier ses tarifs si la concurrence s’en mêle.

Shadow iPad

Shadow sous iOS, ça ouvre des perspectives intéressantes, plus côté pro que jeu…

J’en vois certains se gratter la tête à la fin de cette lecture. Faut-il fuir Shadow ? Les points négatifs ne sont-ils pas trop nombreux ? La conclusion de tout ça est beaucoup plus nuancée. Oui, les soucis sont réels, les bugs et problèmes d’usage parfois très pénibles, mais c’est malheureusement normal vu la nature de l’offre. C’est beaucoup de software, de bricolage à plein de niveaux pour réaliser tout ça. Votre matériel sera encore différent de ce que j’ai utilisé pour mes tests, vos besoins et attentes aussi. Quand tout fonctionne bien, si le principe de l’abonnement et les limitations évoquées plus haut ne sont pas des éléments bloquants pour vous, Shadow remplit parfaitement sa mission. Le plus simple, c’est encore de tester par vous-même. Donnez-vous un mois pour mettre à l’épreuve ce service. Qui sait, vous rejoindrez peut-être les fans que nous avons déjà ici ! Mais dans le cas contraire, ne soyez pas trop surpris : Shadow n’est pas parfait, loin de là, et ça risque d’être le cas encore longtemps.

 


Note : cet article est l’équivalent de plusieurs pages de magazine. Il n’est possible de rédiger (ou plutôt écrire / réécrire / corriger / intégrer) des papiers de cette taille que grâce à nos soutiens Paypal, et surtout à nos patrons. Oui, on sait, ce n’est pas le bon terme. Mais nous, ça nous fait rire. Et quand on reçoit des sous aussi, d’ailleurs. Du coup, merci à vous, qui mettez la main à la poche pour nous inciter à bien bosser ! Et si vous n’avez pas encore franchi le pas, pensez à soutenir Geekzone pour que nous puissions augmenter la cadence !

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