Street Fighter 5 : Capcom à la croisée des chemins – Part 2

Il y a quelques semaines, nous prenions le temps d’expliquer à la fois le jeu de combat et comment Street Fighter 4 tentait d’apporter des réponses aux principaux reproches qui lui sont faits. Nous en avions déduit que Street Fighter 4 avait une approche permissive, faite de compromis, avec des règles fondamentales telles que les footsies ou la gestion du “risque et récompense”. Ces choix avaient contribué à l’apparition de contre-mesures rendant le jeu extrêmement complexe sur le long terme.

Il est temps d’aborder d’autres questions épineuses : quelle orientation prendre avec sa suite, Street Fighter 5 ? Faut-il à nouveau responsabiliser le joueur ou lui laisser le droit à l’erreur ? Comment éviter d’être rétrograde tout en remettant le jeu à plat ?

Street Fighter 5

Nous pourrions répondre tout de suite et flinguer le suspens… Ou en profiter pour faire un petit détour sur les fondements et l’historique de ce futur épisode. Car si le gameplay est important, Street Fighter 5 est plus que cela pour Capcom et pour le genre tout entier. Il est un dernier coup de poker qui pourrait bien servir d’exemple pour l’ensemble de ce secteur.

Le premier homme

Tout le monde ou presque connaît Seth Killian. Cet enfant de la première génération de Street Fighter, professeur de philosophie et auteur d’une série d’articles posant pour la première fois des mots clairs sur les jeux de combat quand ceux-ci n’étaient encore que des concepts plus ressentis que théorisés, a travaillé sur Street Fighter 4. Dans une position un peu étrange de “Special Advisor”, à mi-chemin entre le community manager et le consultant en game design.

Seth Killian

Seth Killian, en pleine réflexion sur l’avenir du monde.

Killian a beaucoup fait pour Capcom et Street Fighter 4. Si Ono a toujours été le communicant débitant blagues et discours marketing, Killian fut celui qui prenait le stick en main lors des présentations presse pour faire la démo du jeu. Sa capacité d’analyse, couplée à une faculté didactique impressionnante, inédite pour l’époque, et encore rarement égalée aujourd’hui, a permis à Street Fighter 4 d’être compris par la presse. Il est aussi celui qui fera rentrer dans le crâne de Capcom que le jeu en ligne doit être une priorité absolue ! Et surtout, que ça doit fonctionner aux USA. Et depuis des années, on le retrouve, aux côtés de son acolyte James Chen, à retenir ses larmes à chaque finale de l’EVO.

Pourtant, Killian a quitté Capcom en 2012. D’une part, parce qu’il avait envie de nouvelles expériences et s’était vu proposer un job chez Sony Santa Monica. D’autre part, parce que quelques mois après la sortie désastreuse de Street Fighter X Tekken, alors que Capcom semblait se perdre dans un bourbier infernal, il était sans doute grand temps de lever les voiles.

L’erreur de calcul

Des insiders racontent qu’à cette époque, Capcom était persuadé d’avoir les joueurs dans sa poche, que la concurrence ne serait pas un problème et que le marché pouvait absorber quatre titres de la marque en moins d’un an. Quand Ultimate Marvel vs Capcom 3 se plante suite à une sortie trop rapide (due à une fin de contrat avec Marvel) et que Street Fighter X Tekken réalise un des plus gros ratés de l’histoire de Capcom (moins de deux millions de ventes avec ces deux licences, il fallait le faire), le bateau prend l’eau et les certitudes s’envolent, pendant que Street Fighter 5 est déjà en discussion.

Car rappelons-le, Street Fighter X Tekken devait être le successeur de Street Fighter 4 et le début d’une nouvelle franchise. Ce fut surtout le début d’une incursion du marketing dans le game design du jeu, marketing qui voulut imposer des power-ups payants sous forme de gemmes à greffer sur son combattant. Un projet casse-gueule associé à un gameplay mal bêta-testé qui ruina le titre. Sans parler des nombreux bugs et des 12 persos en DLC, cachés sur le disque, attendant d’être débloqués quelques mois plus tard contre espèces sonnantes et trébuchantes. La communauté fut “un peu agacée” de ces choix “contestables”.

Certains trouvèrent Capcom trop cupide sur ce Street Fighter X Tekken. Mais avec du recul, on réalise à quel point l’éditeur cherchait surtout une manière de sauver un projet probablement trop couteux et trop bancal pour être rentable avec la vente d’une simple boite à 60 euros. Jugez plutôt les conditions… D’abord, la technique est à la rue, la faute à un moteur qui date de 2008. Et le système de distribution de DLC est inexistant, car ledit moteur a été conçu pour des mises à jour en bloc dans les salles d’arcade. Ensuite, un crossover implique forcément un gameplay casse-gueule, car mélangeant deux approches similaires dans le fond, mais terriblement éloignées dans la forme. Et enfin, rappelons-le : faire un jeu de ce genre coute TRÈS cher. Si Street Fighter 4 fut probablement toujours rentable via ses itérations arcade et consoles, sa première version a couté 60 millions de dollars, marketing inclus.

Dans ces conditions, pas étonnant que Capcom ait fait tout son possible pour rentabiliser le développement du titre. Et il n’est guère surprenant que Street Fighter 5 ait mis si longtemps à murir. Plus qu’un simple flop, Street Fighter X Tekken est victime d’une vision dépassée du jeu de combat, que ce soit du point de vue technique, marketing ou communautaire. Tout doit être revu et pour cela, il va falloir laisser place à de nouveaux acteurs.

Airdasher warrior

Street Fighter 4 doit reprendre du service, mais se trouve dans une position difficile : troisième itération payante, bugs de conception ayant profondément changé le jeu compétitif… La lassitude commence à pointer, mais il s’agit du dernier jeu dont Capcom a les droits et qui ne souffre pas d’une réputation sulfureuse.

Combofiend - Street Fighter

Peter Rosas, allias Combofiend.

C’est alors qu’entre en scène un certain Peter Rosas, allias Combofiend. S’il n’est pas de la première génération comme Killian, Combofiend reste un compétiteur de haut niveau ayant joué à presque tout ce que Capcom a sorti depuis bientôt 15 ans. Cultivant un humour grinçant mélangeant provoc’ et franche sincérité, doté d’un style de jeu agressif apprécié par le public, il s’est fait connaître de la nouvelle génération de joueurs dès les débuts de Marvel vs Capcom 3 avec des comebacks de folie à coups de BIONIC AAAAAARM.

Quand il entre chez Capcom pour remplacer Killian, il n’est que community manager. Son rôle consiste à continuer ce qu’a créé son prédécesseur : un lien fort entre Capcom et sa communauté. Mais rapidement, Combofiend se trouve chargé d’une mission pas simple : prendre les suggestions des joueurs pour cette fameuse ultime itération de Street Fighter 4, censée faire gagner du temps à la marque japonaise. C’est une mini-révolution dans un jeu de combat japonais. Si Killian avait réussi à créer ce lien, il s’arrêtait toujours aux portes des développeurs, retranchés dans leur bunker. Pour la première fois, un bêta-test validant ou non les orientations et l’équilibrage d’un titre sort d’une salle d’arcade. Le résultat ne se fera pas attendre et sera surprenant à bien des égards.

Des forums inondés de messages, aux types qui l’interpellent dans la rue en lui disant de ne pas pourrir leur personnage, Combofiend mange de l’opinion à n’en plus finir, note chacune des suggestions et fait tout remonter jusqu’au Japon… Il finit logiquement impliqué dans l’orientation que doit prendre le jeu. Car de son propre aveu, deux visions s’affrontent sur ce sujet brulant.

Il se retrouve à défendre une vision humaine du jeu, qui pour lui et bien d’autres, devrait être un moyen d’expression, une extension de la personnalité du joueur. Mais côté Japon, on préfère une approche plus technique – voire scientifique – visant la perfection de l’utilisation d’un personnage, quitte à ne plus laisser son propre style transparaître si cela permet de gagner. Et c’est précisément cette approche qui a le vent en poupe.

Man, Machine, The Fusion

Car à cette époque, Street Fighter 4 Arcade Edition est devenu un jeu terriblement cruel à haut niveau, notamment à cause des mises au sol. Celles-ci ayant une durée fixe, il est possible de calculer le temps restant pour placer une attaque dès que l’adversaire se relève et, en utilisant un bug de conception du jeu, de rendre ces dernières impossibles à garder.

Street Fighter 5

Visuellement, SF5 sera bien différent de son ainé !

Ce qu’on appelle Okizeme au Japon et Setplay aux USA n’est pas rare dans le jeu de combat, mais est le plus souvent accompagné de mécaniques défensives permettant d’en réduire les abus, mécaniques que Street Fighter 4 ne possède pas. Le Setplay ne favorise en plus que certains personnages et réduit considérablement l’importance des footsies dans le jeu alors que c’est un des piliers de Street Fighter.

Il va donc falloir trouver un compromis correct entre les envies de chacun pour Ultra Street Fighter 4. L’ajout de mécaniques situationnelles, mais impressionnantes, en plus d’un équilibrage visant à améliorer les personnages, va faire mouche. Des coups d’éclats de la part des joueurs vont continuer de faire les beaux jours de YouTube et si les imblocables ne sont plus techniquement présents, le setplay reste tout de même d’actualité pour ceux qui l’apprécient.

Pour finir, une petite surprise se glisse dans le titre : un mode intitulé Omega, qui crée des versions alternatives des personnages, souvent très différentes des originaux. Conçu soi-disant “pour le fun”, ce mode de jeu expérimente également quelques changements comme un buffer plus large simplifiant les combos ou des mini-super coups. Il n’en faut pas plus à certains pour comprendre qu’il s’agit d’un focus test qui ne dit pas son nom.

Rise Up

Maintenant qu’Ultra Street Fighter 4 est finalisé, les équipes de Capcom peuvent passer à plein temps sur Street Fighter 5. Un nouvel épisode au business model détonant, qui ne nécessitera qu’un seul disque, où les personnages pourront être débloqués en jouant et où tout ce qui est DLC payant ne sera que cosmétique. Capcom s’assure ainsi une rente traditionnelle avec les ventes tout en évitant de déprécier son produit en faisant une version Ex+ Alpha.

Lors de l’annonce, beaucoup ont eu du mal à y croire. De tous les acteurs du milieu, Capcom serait celui qui s’apprête enfin à changer ce paradigme du jeu de combat ? Une tare qu’on se traine comme un boulet depuis l’époque des salles d’arcade ? Ce nouvel épisode est certes celui de la maturité du gameplay… Mais il semble surtout que Capcom, à l’image de ces joueurs qui perdent mais ne lâchent pas le stick au premier échec, ait surmonté ses faiblesses pour enfin aller de l’avant.

En résulte un titre qui ne s’annonce pas uniquement intéressant pour son gameplay ou sa future scène compétitive, mais aussi parce qu’il pourrait changer la manière dont les jeux de combat sont conçus, vendus et perçus. Avouez, c’est quand même excitant non ?

Street Fighter 5

On se retrouve la semaine de la sortie du jeu pour discuter du gameplay et enfin répondre à cette question : quelle orientation pour le gameplay de ce nouvel épisode ? Si vous avez correctement lu cette série d’articles, vous devriez deviner vers quoi nous nous dirigeons !

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