La saga Marvel Studios, 2ème partie : « I am Iron Man »

Après avoir échappé de justesse à la banqueroute à la fin des années 90, Marvel renoue progressivement avec le succès et décide de se lancer activement dans le cinéma. D’abord en partenariat avec de grands studios, comme la Fox ou Sony. Ensuite en solitaire, en tant que studio indépendant, dès 2004. Un pari plutôt fou qui va pourtant s’avérer extrêmement payant.

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Petit rappel si vous avez loupé l’épisode précédent

En 2004, David Maisel, alors président du conseil d’administration de Marvel Studios, négocie avec les banques un gros emprunt pour produire en interne des films basés sur les personnages des comics maison. Problème : leurs principaux fers de lance ne leur appartiennent plus. Point de mutants, licenciés à la Fox, et adios l’homme-araignée, désormais sous le contrôle de Sony. La tâche d’Avi Arad, président de la production, et chargé de cette nouvelle entreprise un peu folle, s’annonce pour le moins ardue.

Mais les responsables du jeune studio ne se laissent pas abattre. Après un rapide inventaire des franchises disponibles, leur choix s’arrête sur trois personnages du catalogue : Ant-Man (sur lequel on reviendra beaucoup plus tard), mais surtout Iron Man et The Incredible Hulk. Et si le géant vert jouit d’une certaine notoriété, l’alter-égo super-héroïque de Tony Stark est un poil moins connu en dehors du cercle assez réduit des lecteurs de comics. Il sera pourtant le sujet du premier long métrage mis en chantier par Marvel Studios.

Kevin Feige, actuel président de Marvel Studios et grand architecte du MCU.

Kevin Feige, actuel président de Marvel Studios et grand architecte du MCU.

Et pour l’aider dans cette entreprise, Arad s’adjoint les services d’un certain Kevin Feige, dont on a déjà eu l’occasion de parler brièvement. Embauché comme assistant par la productrice Lauren Shuler Donner sur le premier X-Men, l’homme est une véritable bible vivante de l’univers Marvel. Un statut qui lui vaudra dans un premier temps d’être consultant de choix sur les films coproduits par la Maison des Idées (les X-Men de Singer donc, mais également les Spider-Man de Sam Raimi), pour être ensuite propulsé au rang de producteur sur les nouvelles franchises développées en interne dès 2005.

La patate chaude

Iron Man n’est pas un projet récent. Depuis les années 90, l’idée de mettre en scène la vie trépidante de l’inventeur milliardaire Tony Stark a fait le tour d’un paquet de studios. D’abord passé chez Universal, puis la Fox dès 1996 (où il sera respectivement associé à des noms prestigieux comme Nicholas Cage, Tom Cruise et même Quentin Tarantino), le bébé échouera finalement chez New Line Cinema en décembre 99.

Le studio tentera pendant plusieurs années de concrétiser le projet, courtisant même autour de 2001 un certain Joss Whedon, mais ne parviendra jamais à transformer l’essai. New Line lâchera finalement l’affaire en novembre 2005, date à laquelle les droits réintègreront la besace de Marvel Studios.

Faisant fi des nombreuses tentatives d’adaptation précédentes, Arad va alors décider de tout reprendre à zéro. En avril 2006, le projet est officiellement mis en chantier chez Marvel Studios, qui recrute pour chapeauter l’entreprise le réalisateur Jon Favreau. De prime abord, Favreau est un choix atypique. Plutôt familier des petites productions indépendantes, lorgnant principalement vers la comédie, il n’a jamais bossé sur un gros film d’action. Mais son amour sincère du personnage, et le pitch qu’il présente aux pontes du studio, lui permettent de décrocher le job. Qui plus est, il a déjà eu l’occasion de croiser la route d’Arad sur le tournage de Daredevil, ceci expliquant sans doute cela.

La team comics en renfort

Session brainstorming avec les pointures du monde des comics.

Session brainstorming avec les pointures du monde des comics.

Un premier scénario est coécrit en binôme par Art Marcum et Matt Holloway, déjà responsables du film Punisher de 2008 sorti chez New Line. Il sera ensuite retravaillé par un autre duo, Mark Fergus et Hawk Ostby, tout juste auréolés du succès critique (mais malheureusement pas financier) de l’excellent Children of Men. Mais Favreau, à qui le projet tient particulièrement à cœur, n’est pas complètement satisfait du résultat. Il décide alors d’embaucher une team d’experts en comics, recrutés parmi les grands noms ayant posé leur plume dans les bouquins Marvel, pour insufler de nouvelles idées à un scénario qu’il juge un peu terne. Cette équipe de super-conseillers, composée de Mark Millar, Brian Michael Bendis, Joe Quesada, Tom Brevoort, Axel Alonso et Ralph Macchio, annoncera les prémisses du futur (et problématique) « creative comitee » (le comité créatif) qui supervisera officiellement les films du MCU à partir d’Iron Man 2 et dont on aura l’occasion de reparler.

Sans conteste, l’influence la plus importante de ce comité sera la mise au placard du Mandarin, initialement prévu pour être le « big bad » de ce premier opus. Jugeant le personnage trop « fantastique » pour être intégré dans une franchise qui se veut ancrée dans la réalité, Mark Millar recommande à Favreau de propulser au premier rang le personnage d’Obadiah Stane, alors second couteau et plutôt envisagé comme grand méchant d’une éventuelle suite.

Un moment clé

Le 29 septembre 2006, Marvel et Favreau officialisent une décision qui s’avèrera cruciale pour le succès du film et du MCU dans son ensemble : l’acteur Robert Downey Jr interprètera le rôle de Tony Stark à l’écran. Un choix qui peut sembler évident aujourd’hui, mais pour lequel Favreau a dû batailler pendant de longs mois. D’abord inquiets de la réputation sulfureuse entourant l’acteur, les pontes de Marvel finiront par céder quand Favreau pointera du doigt les similitudes troublantes entre la vie de l’acteur et celle du super-héros, suggérant à raison qu’il est sans conteste l’homme providentiel pour incarner l’ami Tony.

Tout le monde savait qu’il avait du talent… Particulièrement en étudiant le rôle d’Iron Man et en développant le scénario, j’ai pris conscience que le personnage était parfaitement en phase avec Robert, en bien comme en mal. Et que l’histoire d’Iron Man était en réalité l’histoire de la carrière de Robert…

L’audition de RDJ finira de convaincre les plus réticents. Ce casting de génie va non seulement ravir les fans, mais également inciter d’autres grands noms du septième art à rejoindre le projet : d’abord Gwyneth Paltrow, qui signe avec enthousiasme pour incarner Virginia « Pepper » Potts, collaboratrice et « love interest » de Stark, puis l’illustre Jeff Bridges, à qui échoit le rôle d’Obadiah Stane, récemment promu bad guy du film.

Kevin Feige, ce teaseur

Et pendant que le cast du long métrage prend forme, Marvel continue de teaser ses autres projets. En juillet 2006, à San Diego, lors de leur première Comic-Con, les responsables du studio annoncent la mise en chantier de trois nouveaux films : Captain America, Thor et un film sur Nick Fury (qui ne verra finalement jamais le jour, probablement remplacé par la suite d’Iron Man, dans laquelle Fury et le SHIELD joueront un rôle primordial). Et à la question pas vraiment candide d’un fan qui l’interpelle sur la possibilité de « crossovers » entre ces différentes franchises, Kevin Feige lâchera nonchalement une réponse qui fera l’effet d’une bombe et provoquera un orgasme collectif instantané dans le public.

Si vous regardez les noms des personnages sur lesquels on travaille actuellement, et que vous les mettez tous ensemble, ce n’est pas vraiment une coïncidence si ça suggère l’arrivée, un jour, des Avengers.

Cris de joie et allégresse dans le célèbre Hall H du Convention Center. La hype est en marche. Elle ne s’arrêtera plus.

Moteur !

Gwyneth Paltrow, RDJ et Favreau en pleine séance d'improvisation.

Gwyneth Paltrow, RDJ et Favreau en pleines répétitions.

Le 12 mars 2007, après de longs mois de pré-production passés essentiellement à préparer ce qu’on appelle les « setpieces » (c’est-à-dire principalement les scènes d’action lourdes à planifier) et à bosser sur la confection de l’iconique armure, le tournage d’Iron Man débute enfin.

Pourtant, le scénario est loin d’être finalisé. Ce qui n’est pas vraiment un problème pour Favreau, habitué à bosser en roue libre sur les tournages de productions indépendantes. Du coup, il invite ses acteurs à improviser la plupart de leurs dialogues et à faire des suggestions sur les scènes auxquelles ils prennent part. Un mode de fonctionnement relativement inédit pour une production de cette ampleur, mais qui participera énormément à solidifier un ton différent de ce à quoi les fans du genre ont été jusqu’ici habitués avec les films de super-héros.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule donnée qui fera la différence. L’autre élément qui va permettre à Marvel de se distancier de la concurrence, c’est l’angle narratif choisi. Plus qu’un film de super-héros, Favreau ambitionne de faire d’Iron Man un « super film d’espionnage mélangeant Tom Clancy, James Bond et RoboCop », ayant pour héros un personnage de comics. On peut débattre de la pertinence de ces influences au regard du résultat final, mais en tous cas, il tente clairement de sortir du carcan imposé par le genre. Une approche qu’on retrouvera dans les autres productions du MCU et qui vont permettre aux films du studio d’essayer de se réinventer en permanence, parfois avec succès, parfois moins.

Après 75 jours d’un tournage intense, parsemés de remaniements incessants du scénario original, Favreau boucle finalement la phase de production non seulement dans les temps, mais également en dessous des estimations de budget. Un coup d’essai plutôt réussi pour un réalisateur qui n’a jamais mis les mains dans un aussi gros projet.

Les sentiers de la gloire

En juillet 2007, Marvel présente au public de la Comic-Con un premier clip de 4 minutes, rapidement bidouillé dans la salle de montage. Et lorsque les lumières se rallument, et que la foule explose littéralement de joie, tous les doutes de l’équipe de production s’envolent. Manifestement, ils tiennent quelque chose. Et la grosse banane qui illumine le visage de Favreau témoigne de son soulagement.

La dernière étape, celle de la postproduction, peut désormais commencer et Favreau va s’y engouffrer avec le même dévouement. Qu’il s’agisse de peaufiner les effets sonores et visuels, le montage ou le générique de fin, le réalisateur va continuer de s’investir à fond, contrôlant le moindre détail de cette fin de chantier.

Cerise sur le gâteau, l’équipe du film réussit à booker l’ami Samuel L. Jackson pour une après-midi. Objectif : filmer en secret une scène post-générique dans laquelle Nick Fury (et par son entremise les gens du studio) annonce aux spectateurs qu’Iron Man n’est que la pointe de l’iceberg et la première pièce d’un puzzle. Les Avengers arrivent. Le rêve inespéré de millions de fans prend forme.

Avengers Assemble

Le 14 avril 2008, c’est enfin le jour de la libération pour Favreau. Marvel présente son premier bébé de 126 minutes au public, lors d’une avant-première qui se déroule au cinéma Greater Union de Sydney, en Australie. Sur le tapis rouge, Robert Downey Junior et Tony Stark ne font qu’un. Et comme le personnage qu’il incarne, il savoure cette rédemption inattendue.

Iron Man trustera la première place du box office le premier jour de sa sortie aux Etats-Unis et au Canada, engrangeant près de 100 millions de dollars durant son weekend d’ouverture. La longue ascension de Marvel Studios dans le paysage hollywoodien vient de commencer. Il va désormais falloir compter avec ce jeune studio que personne n’attendait. Malheureusement, l’avenir ne sera pas fait que de contes de fées. The Incredible Hulk va ouvrir le bal des tournages difficiles. Et ce ne sera pas le dernier…

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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