La saga Marvel Studios, 25ème partie : Captain Marvel, le dernier Avenger

Après vingt films et onze ans de MCU, Marvel Studios se décide enfin à lancer sa première franchise centrée sur une super-héroïne, Carol Danvers, alias Captain Marvel. “Il était temps”, crieront les mauvaises langues. Et elles n’auront pas complètement tort. D’autant qu’en face, les concurrents de DC Comics ne les ont pas attendus, prenant les devants dès 2017, et explosant le box-office avec leur Wonder Woman. Alors, pourquoi une attente aussi longue ?

Captain MarvelPréambule : pour ceux qui souhaiteraient en apprendre un peu plus sur le personnage de Captain Marvel dans les comics, sachez que nous en avons parlé en long et en large dans les deux derniers épisodes des Clairvoyants, notre podcast dédié au Marvel Cinematic Universe. N’hésitez pas à aller y jeter une oreille, voire les deux !

Captain Marvel

Plus cosmiques que les Avengers, plus arrogants que les Gardiens de la Galaxie, je vous présente : la Star-Force.

À la question de son arrivée sur le tard dans le MCU, j’ai une réponse toute simple : Captain Marvel n’a pas été un projet facile à mettre en chantier. Je sais que j’ai l’habitude d’ouvrir mes dossiers avec ce constat, mais ce 21ème film du Marvel Cinematic Universe ne déroge pas à la règle. Outre la frilosité légendaire des producteurs à l’égard des franchises menées par un personnage féminin, le côté “surpuissant” de l’héroïne et la difficulté de l’intégrer dans un univers cinématique déjà bien établi, Marvel Studios doit également lutter contre une vague de « buzz » négatif, entretenue par une frange de “trolls” particulièrement active sur les réseaux sociaux. De quoi inciter à la prudence, surtout quand on sait que Kevin Feige mise beaucoup sur le personnage pour prendre la tête des Avengers après Endgame.

S’il aura fallu attendre 2019 pour découvrir les aventures de Carol Danvers sur grand écran, la genèse du film remonte quant à elle aux tous débuts du MCU. Comme on l’a déjà vu à maintes reprises dans les dossiers précédents, dès les premiers balbutiements de son univers cinématographique, le studio dépêche un petit groupe de scénaristes chargés de plancher sur de potentiels futurs projets à intégrer dans la franchise. Parmi ceux-ci, aux côtés de Black Panther et Doctor Strange (qui décrocheront leur long métrage), ou encore The Runaways et Iron Fist (qui finiront eux à la télé), une certaine Captain Marvel.

Il faudra néanmoins patienter jusqu’en mai 2013 pour que débarque sur le bureau de Kevin Feige une première mouture du scénario, qui met alors en scène Ms. Marvel, c’est-à-dire la première itération du personnage, avant qu’elle n’endosse le costume de Captain. Les raisons qui justifient cette longue période de gestation sont nombreuses. D’abord, le personnage est une femme. Et qu’on soit ou non d’accord avec la politique des studios hollywoodiens, à une époque où The Force Awakens ou Wonder Woman (et leurs personnages féminins en tête d’affiche) n’ont pas encore crevé l’écran, les actionnaires des grandes maisons hollywoodiennes sont encore relativement frileux à l’idée de miser leur pactole sur une super-héroïne.

Ensuite, l’étendue des pouvoirs de Captain Marvel la place parmi les héros les plus puissants des comics, ce qui, dans un univers ciné déjà bien établi, n’est pas sans présenter certains challenges. Comment justifier par exemple son absence des vingt premiers films, sans passer par la case un peu éculée de l’origin story ? Enfin, d’une manière plus globale, comment intégrer au mieux cette nouvelle force dans un arc narré depuis une dizaine d’années déjà, sans donner l’impression que son arrivée ne fasse irrémédiablement penser au proverbial “cheveu dans la soupe”, voire du « deus ex machina », surtout après la fin dramatique d’Avengers: Infinity War ?

Je vous la pose où ?

Captain Marvel

Grande photo de famille du MCU pendant la Comic-Con de 2016, et l’occasion pour Brie Larson de faire l’andouille.

Ces difficultés d’intégration expliquent en grande partie pourquoi le projet prendra son temps, et sera en outre maintes fois repoussé, même après son annonce officielle lors de la conférence “Phase 3” d’octobre 2017 (voir le dossier sur Captain: America Civil War pour se rafraîchir la mémoire sur cet événement). Initialement prévu pour le 6 juillet 2018, le film sera une première fois retardé à novembre 2018, pour finalement échouer quelques semaines à peine avant le très attendu Avengers: Endgame, en mars 2019. Une position pas franchement confortable, surtout pour proposer au public de découvrir un tout nouveau héros.

Pour l’anecdote, Marvel aurait dû faire sa première apparition dans le film Avengers: Age of Ultron. Joss Whedon avait en effet choisi de l’introduire en toute fin de film, principalement comme clin d’œil aux fans de comics. Mais Kevin Feige, le président du studio, décidera finalement de faire jouer son droit de veto, estimant qu’il était sans doute un peu dommage de gaspiller cette grosse cartouche sans avoir pris la peine de faire une présentation digne de ce nom de l’héroïne.

En avril 2015, Nicole Perlman (qui a coécrit Guardians of the Galaxy avec James Gunn) et Meg Lefauve (co-scénariste du Inside Out de Pixar) s’attaquent à une ré-écriture du premier jet du scénario, celui de 2013 dont je vous parlais un peu plus haut. Au centre des préoccupations du duo : réussir à intégrer organiquement le personnage au reste du MCU, si possible sans recourir au dispensable chausse-pied. Ce qui, comme on a pu le voir, ne sera clairement pas une mince affaire.

Pendant ce temps, de son côté, Kevin Feige se met en quête d’un réalisateur pour chapeauter le projet. Il rencontre d’abord Ava DuVernay, qui se montre intéressée par Black Panther et Captain Marvel, mais qui ne décrochera finalement ni l’un ni l’autre, suite à des différences créatives manifestement inconciliables. Et côté casting, c’est le silence radio. Feige expliquera dans une interview qu’ils ne souhaitent pas partir en chasse d’une actrice pour le rôle titre tant qu’ils n’avaient pas un scénario en béton, et une idée très claire de ce qu’ils cherchaient. Nous sommes alors en septembre 2015 et, hormis une rapide annonce en octobre de la même année (pour signaler un nouveau report du film au 8 mars 2019), on n’entendra plus parler du projet pendant plusieurs mois.

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Captain Marvel

Les réalisateurs Ryan Fleck et Anna Boden, entourant un Ben Mendelsohn qui transpire la classe. (Oui, j’avoue mon « man crush ». Même en Skrull. C’est chaud.)

Il faudra attendre avril 2016 pour qu’on reparle à nouveau du film. On apprend alors que le scénario ne sera pas vraiment une “origin story” traditionnelle, et qu’on y découvrira une Carol Danvers déjà en pleine possession de ses pouvoirs. Il s’agira dès lors de suivre l’évolution du personnage vers son rôle mythique de Captain Marvel, plutôt que de se fader une énième itération du schéma “personnage normal qui découvre ses pouvoirs et apprend à les maîtriser”. Ce qui, somme toute, est plutôt une bonne nouvelle.

Et maintenant que le studio connaît la trame du film dans ses grandes lignes, il est temps de partir en quête de la bonne actrice pour incarner Carol Danvers à l’écran. Les rumeurs de casting iront bon train (on murmurera notamment les noms d’Yvonne Strahovski, de Bryce Dallas Howard ou encore de la catcheuse Ronda Rousey), mais c’est finalement Brie Larson qui décrochera le très convoité contrat (qui, comme souvent avec Marvel Studios, portera sur plusieurs films de la franchise).

La nouvelle sera annoncée très intelligemment, par surprise (à la Steve Jobs, en mode “one more thing”) à la fin de la conférence du studio lors de la Comic-Con de 2016, et sera accueillie chaleureusement par le public du Hall H du Convention Center de San Diego. Mais l’annonce ne fera pas que des heureux, notamment du côté des conservateurs et de l’extrême droite américaine, menée par un certain Jack Posobiec. Le nom ne vous dit peut-être rien, mais ce membre “éminent” de ce qu’on appelle euphémiquement “alt-right” aux États-Unis, est l’homme responsable (avec son pote Mike Cernovich) du licenciement de James Gunn par Disney (avant son retour, inespéré, il y a quelques semaines). Le monsieur n’est donc pas étranger aux polémiques du genre. Son grief ? Des déclarations supposément “anti-hommes” faites par l’actrice, notamment lors des Crystal + Lucy Awards, une cérémonie honorant les femmes dans le cinéma.

Cette campagne de dénigrement ira assez loin, jusqu’à forcer le site Rotten Tomatoes à réviser son algorithme de calcul de popularité, suite au spam massif fomenté par les trolls conservateurs en direction du film. Mais ne nous attardons pas davantage sur la polémique, elle n’en vaut pas la peine. Surtout qu’au final, le mouvement n’aura eu qu’un impact négligeable sur les résultats du film au box-office.

De menus changements

Captain Marvel

Déjà qu’en temps normal, Samuel L. Jackson donne l’impression d’avoir 40 ans, après rajeunissement numérique, c’est encore plus perturbant.

Revenons donc au film. En août 2016, Nicole Perlman, l’une des deux scénaristes attachées au projet, explique qu’ils ont finalement décidé de modifier quelque peu l’origine du personnage par rapport aux comics. À l’époque, on n’en saura pas plus, mais après avoir vu le film, on comprendra qu’elle parlait sans aucun doute du fameux Psyche-Magnitron, un objet central dans l’acquisition des pouvoirs de Carol Danvers dans les comics, mais probablement un peu trop “kitsch” et daté pour être adapté sur grand écran.

Perlman annonce également que pour leur filer un coup de main sur la trame, le studio a recruté Kelly Sue DeConnick, auteure de comics féministe bien connue des fans du personnage de Captain Marvel, puisque c’est elle qui signe l’arc de 2012-2013 dont est en partie inspiré le film (film qui contiendra également des éléments d’un arc de 1971, décrivant la guerre opposant les races extra-terrestres Kree et Skrull).

Malgré cela, de l’aveu même de Feige, le film se cherche toujours un peu. La principale pierre d’achoppement est toujours la même : comment réussir à intégrer le personnage à la trame connue du MCU, sans (trop) forcer ? Comme on l’a vu, difficile de la faire débarquer juste après Avengers: Infinity War sans donner l’impression d’un artifice un peu maladroit; mais tout aussi complexe de faire du film une préquelle à Iron Man, nécessitant de justifier l’absence du personnage des radars depuis 2008. Une tâche délicate qui va encore ralentir le processus créatif des scénaristes.

Finalement, c’est quelques six mois plus tard, en décembre 2016 que Perlman et LeFauve, avec l’aide de DeConnick, remettront enfin une nouvelle mouture du scénario aux producteurs. Un précieux Graal qui va permettre à Feige et à sa bande de se remettre enfin sérieusement en quête d’un réalisateur. Une recherche sur laquelle le studio communiquera peu, mais qui débouchera en avril 2017 sur le recrutement d’Anna Boden et Ryan Fleck, un duo pas très connu du grand public (on leur doit pourtant l’excellent Mississippi Grind), mais qui a su impressionner Feige par sa science du personnage et les idées fraîches que les deux loustics proposeront d’amender au scénario.

Femme des années 90

Captain Marvel

Les Skrulls ne sont pas ce que l’on croit (les fans de Twin Peaks auront saisi la référence, les autres, tant pis pour vous, vous n’aviez qu’à avoir du goût).

Maintenant que le projet est enfin lancé et l’équipe au complet, les annonces commencent à tomber. On apprend d’abord que le film se déroulera finalement en 1995, soit une bonne dizaine d’années avant le premier Iron Man et les débuts du MCU. Un choix osé s’il en est, parce qu’il s’agira désormais d’expliquer pourquoi l’amie Danvers n’était pas présente pendant les événements des vingt autres films, comme l’attaque de New York par les forces de Loki, au hasard. Une réponse qui sera évoquée dans le film, mais qui ne sera véritablement clarifiée que dans le futur Avengers: Endgame (c’est en tous cas ce qu’on peut déduire des scènes qui ont été montrées aux actionnaires de Disney).

Côté casting, les news s’enchaînent également. On apprend l’arrivée sur le projet d’Annette Bening (dans un rôle à l’époque inconnu), de Jude Law (dans un rôle mystérieux, Mar-Vell ? pas Mar-Vell ?), de l’acteur australien Ben Mendelsohn (excellent dans Rogue One) dans le rôle du Skrull Talos, ainsi que d’un certain Samuel L. Jackson, qui rempile une fois encore dans le rôle de Nick Fury. Mais cette fois-ci, ce sera une version “jeune” du personnage, avant son accession au trône du SHIELD, une astuce rendue possible grâce aux avancées technologiques de Marvel Studios dans le domaine du “de-aging” (un procédé utilisant les images de synthèse pour rajeunir artificiellement un acteur, et déjà éprouvé dans Ant-Man et Captain America: Civil War). Notons enfin pour ses fans (et particulièrement un certain Foxmonsieur) que le film sera également l’occasion d’assister au retour dans le MCU ciné de l’affable Agent Coulson, incarné par l’acteur Clark Gregg, lui aussi rajeuni.

Comme toujours sur les projets du studio, le scénario repassera à la moulinette sur le plateau de tournage, un tournage qui s’étalera de mars à juillet 2018 (avec les traditionnels « reshoots » en novembre et décembre). Avec l’aide de Geneva Roberson-Dworet (qui a déjà posé sa plume sur le dernier Tomb Raider), les réalisateurs Boden et Fleck affineront la trame une dernière fois.

Captain Marvel sera présenté en avant-première à Londres, le 27 février 2019, puis déboulera dans les salles le 6 mars chez nous (le 8 aux États-Unis). Sans surprise, et malgré la campagne de dénigrement des trolls extrémistes et misogynes dont on parlait plus haut, le film réalisera le meilleur démarrage pour une nouvelle franchise MCU. Il signera également le meilleur démarrage pour un film mettant en scène une super-héroïne, devenant ainsi le sixième meilleur lancement de tous les temps, toutes catégories confondues. À ce jour, le film a engrangé pas loin de 300 millions de dollars aux US, et un peu plus de 450 millions dans le reste du monde, et c’est loin d’être fini.

Prochain rendez-vous (très attendu) avec le MCU, Avengers: Endgame devrait clore ce que Kevin Feige appelle “The Infinity Saga”, premier gros arc narratif du studio, s’étalant sur onze ans, du jamais vu dans l’histoire du cinéma. On y retrouvera bien entendu Captain Marvel, acoquinée pour la première fois aux autres Avengers. Sera-t-elle celle qui assènera le coup de grâce à Thanos ? Rien n’est moins sûr. Pour le savoir, il faudra encore patienter jusqu’au 26 avril, date de sortie du quatrième (et dernier ?) volet des aventures de nos Avengers adorés.

En attendant, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ?


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Captain Marvel

MAOW !

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