La saga Marvel Studios, 29e partie : The Falcon & The Winter Soldier, quand le MCU se met à la politique

Après s’être fait vriller le cerveau par la trame bien barrée de WandaVision, on s’attendait à revenir à quelque chose de plus classique pour The Falcon & The Winter Soldier, la deuxième incursion de Marvel Studios sur Disney+. Les bandes-annonces semblaient d’ailleurs annoncer une série plus orientée action, plus légère, au ton largement inspiré des films « buddy cop » comme Lethal Weapon ou 48 Hrs. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette nouvelle série estampillée MCU cachait bien son jeu…

The Falcon & The Winter SoldierAvant d’attaquer le vif du sujet, petit avertissement d’usage : je pars du principe que vous avez déjà englouti les six épisodes de la série, je risque donc d’étaler du « spoiler » sans retenue. Comme d’habitude avec les dossiers Marvel Studios, je m’intéresserai ici principalement à l’aspect « coulisses de tournage » et compte-rendu de production, sans me hasarder à des analyses ou spéculations potentiellement sans fin. Néanmoins, si cette facette vous intéresse également, je vous invite à jeter une oreille aux épisodes 77 et 78 des Clairvoyants, le podcast dédié au MCU que je réalise avec mes amis Fox et Arkeon, et dans lequel on débriefe et dissèque la série dans ses moindres détails. Ce petit préambule étant fait, passons aux choses sérieuses.

The Falcon & The Winter Soldier

Sam & Bucky, sur le point de balancer leur nouvelle mixtape.

Winter (Soldier) is coming

Officiellement annoncée en avril 2019, The Falcon & The Winter Soldier devait être à l’origine la première production Marvel Studios à débarquer sur Disney+, le tout jeune service de streaming de tonton Mickey. Mais la pandémie en a décidé autrement, et la série mettant en scène les personnages de Sam Wilson (Falcon) et Bucky Barnes (The Winter Soldier) sera finalement reléguée en seconde position, juste après WandaVision.

Ce qui, comme je le disais en introduction de ce dossier, tombe plutôt bien : après les remue-méninges et les sitcoms, les fans du MCU aspirent à quelque chose de plus classique, si possible avec une bonne dose de badinage et d’action. Comme on a pu le voir dans le précédent dossier, la volonté de Marvel Studios en partant à la conquête du petit écran, c’est avant tout de se servir de ce nouveau format épisodique, plus long, pour s’intéresser aux personnages d’ordinaire relégués à des rôles secondaires dans les films. Et également, profiter de cette durée étendue pour explorer de nouvelles formes narratives, avec un découpage différent des traditionnels trois (parfois quatre) actes des longs métrages.

The Falcon & The Winter Soldier s’inscrit parfaitement dans cette optique : la proposition, c’est d’en apprendre plus sur les deux superhéros les plus proches de Steve Rogers, de découvrir ce qui les anime, et comment ils vont chacun gérer « l’après-Captain America ». La dernière fois qu’on les a vus, à la fin d’Avengers: Endgame, Sam Wilson héritait du bouclier mythique, non sans une certaine appréhension. On s’en doute déjà à l’époque : la perspective d’un Captain America noir, et du symbole potentiellement polémique qu’il véhicule, sont d’excellentes raisons de faire douter l’ami Sam de sa légitimité à reprendre le flambeau. La série se doit donc d’apporter une résolution à ce choix délicat.

The Falcon & The Winter Soldier

« Si vous continuez à faire les enfants, vous serez privés de saison 2. »

Malcolm in the middle

Comme souvent avec le MCU, l’idée originale émane du cerveau bouillonnant de Kevin Feige, le président de Marvel Studios, et repose sur un constat tout simple. Ayant pris bonne note des réactions positives du public par rapport à l’excellente dynamique entre Sam et Bucky dans les précédents films (Captain America: The Winter Soldier et Captain America: Civil War), Feige subodore rapidement qu’il y a probablement matière à développer une série entière autour des deux protagonistes. L’alchimie à l’écran entre Anthony Mackie et Sebastian Stan fait visiblement des étincelles, il serait dommage de ne pas en tirer profit. D’autant que les deux acteurs avaient déjà manifesté à plusieurs reprises l’envie de collaborer sur un projet MCU, Stan évoquant déjà à l’époque des films comme Midnight Run ou 48 Hrs, jalons du genre « buddy cop » au cinéma.

Tout le monde a l’air motivé par l’entreprise, il ne reste dès lors plus qu’à former une équipe et à se mettre à l’ouvrage. Pour dénicher le futur (ou la future) « show runner » de la série, Marvel Studios procède à un casting (oui, comme pour les acteurs), invitant les scénaristes intéressés par le projet à venir « pitcher » leur idée pour la future série. Parmi ceux-ci, Malcolm Spellman, scénariste afro-américain qui a notamment rodé sa plume sur la série Empire, et produit un documentaire sur la culture urbaine, baptisé Hip Hop Uncovered.

Mais comment ça se passe au juste un « casting de scénariste » ? La procédure est intéressante et, à ma connaissance, assez inédite dans le milieu. Pour développer son idée, chaque prétendant au poste est assigné à un producteur exécutif de Marvel Studios, avec qui il va plancher sur une trame générale. Spellman se retrouve ainsi flanqué de Nate Moore, et ensemble, les deux hommes vont défricher les bases de l’histoire qu’ils ont envie de raconter. L’axe principal suggéré par Spellman, c’est d’utiliser le dilemme de Sam Wilson pour traiter des notions complexes et délicates de race et d’identité. Des notions qui sont justement au cœur de nombreux films « buddy cop », comme… 48 Hrs ou Lethal Weapon ! La nature est bien faite…

Contrairement à Steve Rogers, Bucky et Sam ont assez mal vieilli. (Ah, on me signale qu’il s’agirait en réalité de Kari Skogland et Malcolm Spellman, au temps pour moi.)

Un film de six heures !

Fin octobre 2018, après avoir finalisé les détails de son synopsis en tandem avec Moore, Spellman est officiellement embauché pour superviser l’entreprise. Pour Feige, cela ne fait aucun doute : le scénariste partage sa vision de ce que représente la série, et son appartenance à la communauté afro-américaine est sans conteste un atout supplémentaire qui lui permettra d’en dépeindre au mieux les turpitudes.

Comme pour WandaVision, la série est annoncée à l’occasion de « l’Investor Day » de Disney, la journée des investisseurs, qui se tient en avril 2019. Et à peine un mois plus tard, Marvel Studios révèle l’identité de celle qui prendra place derrière la caméra : la réalisatrice canadienne Kari Skogland, inconnue du grand public, mais pourtant déjà bien rompue à l’exercice de la série télé (elle a notamment travaillé sur des épisodes de The Handmaid’s Tale, The Punisher, Sons Of Liberty, ou encore Vikings).

Petite remarque en passant : comme ce fut le cas avec la série précédente, on constate que Marvel Studios choisit une fois encore de confier intégralement la réalisation du projet à une seule personne (ce sera également le cas sur Loki, soit dit en passant). Preuve supplémentaire que chacune de ces séries est bel et bien gérée comme un long film de six heures, supervisé par un réalisateur unique, et découpé ensuite pour permettre une diffusion hebdomadaire. Dans le cas de The Falcon & The Winter Soldier, Marvel Studios optera pour un format en six épisodes, oscillant chacun entre 45 et 55 minutes, pour un budget total estimé à 150 millions de dollars, soit l’équivalent d’un film du MCU. Une manne plutôt considérable qui permettra de jouer à armes égales avec les longs métrages et ne pas souffrir de la comparaison.

The Falcon & The Winter Soldier

John Walker, dit Popeye, votre nouveau Captain America !

Rouge, blanc et noir

Maintenant que l’équipe est enfin au complet, les choses sérieuses peuvent commencer. À la tête de sa « writer’s room », Spellman affine la trame de sa série, articulée autour du délicat passage de flambeau entre Steve Rogers, superhéros blanc, et Sam Wilson, superhéros noir. Une problématique hautement contemporaine et qui, pour le coup, ne s’inspire pas d’un arc spécifique des comics; même si Spellman admet avoir puisé une bonne partie de son inspiration dans la série Truth: Red, White & Black, qui narre l’histoire douloureuse d’Isaiah Bradley, le premier super-soldat noir. Un personnage qui joue d’ailleurs un rôle pivot dans la série, et plus spécifiquement dans la difficile réflexion de Wilson quant aux responsabilités et devoirs qui l’incombent, mais aussi quant à la problématique d’enfiler les couleurs d’un pays qui fondamentalement a encore beaucoup de mal à accepter celle de sa peau.

Que la série s’aventure avec autant d’ardeur sur le terrain politique n’est pas en soi une véritable surprise. Depuis sa création dans les années 40, Captain America a toujours été un personnage éminemment politique. Une tradition héritée des comics, qu’on retrouve dans le MCU depuis The First Avenger. Il était donc tout à fait naturel que la série prolonge cette réflexion, en exploitant la durée étendue qu’offre le format pour traiter avec autant de profondeur que possible des thèmes plus complexes que ce à quoi nous avaient habitués jusqu’ici les films.

C’est aussi l’occasion de prendre le temps de développer des personnages plus nuancés, moins manichéens. Et je ne parle pas ici uniquement de John Walker, le nouveau Captain America « officiel », ou du moins celui adoubé par l’armée américaine. S’il est clairement l’archétype du personnage « entre gris clair et gris foncé », comme le disait si bien Jean-Jacques, il est loin d’être le seul dans la série à naviguer en eaux troubles.

The Falcon & The Winter Soldier

Fallait pas l’énerver.

Tous pourris !

Un peu salée d’avoir été oubliée dans les grâces accordées après le grosse baston contre Thanos, Sharon Carter s’est visiblement reconvertie en patronne de la pègre à Madripoor, Zemo est toujours motivé par une volonté mal inspirée de rayer les superhéros de la carte… Même Sam et Bucky, en proie avec leurs démons respectifs, flirtent régulièrement avec le côté obscur de la Force. Et n’oublions pas les « Flag Smashers », dont les motivations ont certes du sens, mais dont les méthodes s’avèrent plutôt… discutables.

D’ailleurs, puisqu’on parle de nos amis terroristes et de leurs motivations, ce choix narratif de traiter de manière concrète les conséquences du « snap » à l’échelle de la planète, c’est quelque chose d’assez nouveau dans les films du MCU. On a pu jauger de son impact à un niveau individuel (je pense notamment au deuil de Wanda dans WandaVision ou à celui de Peter Parker dans Spider-Man: Far From Home), mais jusqu’ici, en dehors de Captain America: Civil War, où la problématique était bien entendu au cœur du récit, les retombées globales des échauffourées cosmiques de nos amis superhéros ont rarement été plus qu’effleurées. Dans The Falcon & The Winter Soldier, cette notion joue un rôle central, et renforce la cohérence générale du MCU en l’ancrant dans une réalité globale. Pas la peine d’avoir fait BAC+9 pour comprendre que la disparition de quatre milliards de personnes pendant cinq ans a forcément laissé des traces indélébiles sur notre civilisation tout entière. Cet impact, la série l’intègre de manière organique dans sa trame, par le biais des Flag Smashers et de leur volonté de revenir au « monde d’avant ».

Mais aussi louable que soit cette volonté franche d’explorer des thématiques politiques complexes, il ne faudrait pas pour autant en oublier l’essence du MCU : une bonne dose d’action, des cascades spectaculaires et des effets spéciaux à gogo. Pour s’assurer de ne pas louper le coche sur cet important versant « grand spectacle », Malcolm Spellman fait appel en juillet 2019 à un monsieur bien connu des amateurs de longs métrages à haute concentration de baston : Derek Kolstad, cocréateur de la franchise John Wick. Il signera d’ailleurs deux épisodes de son nom, dont le fantastique épisode 4, et son désormais mythique final particulièrement sanglant.

The Falcon & The Winter Soldier

« Et si on lâchait un virus mortel dans la nature ? Too soon ? »

Cachez ce virus que je ne saurais voir

Comme on peut s’en douter, le tournage de The Falcon & The Winter Soldier n’échappera pas aux affres de la pandémie. Il débute à Atlanta le 31 octobre 2019, sous le pseudonyme assez drôle de « tag team » (une référence évidente à l’univers du catch), et après une interruption due à ce satané virus le 10 mars 2020, reprendra quelques mois plus tard en septembre, pour se terminer en octobre, soit un an après le premier coup de manivelle.

J’en profite d’ailleurs pour mentionner une rumeur persistante qui stipule qu’à l’origine, la trame de la série devait tourner autour d’une histoire de virus. Plus spécifiquement, la volonté des Flag Smashers de lâcher dans la nature un dangereux pathogène, avec pour objectif d’éliminer la moitié de la population, et revenir ainsi à une situation similaire à celle d’après le « snap ». Une direction qui aurait été finalement abandonnée quand la fiction s’est tout à coup mise à ressembler d’un peu trop près à la réalité. La rumeur a depuis été fermement démentie par Kari Skogland, mais on ne peut s’empêcher d’y voir une explication sensée à cette sensation diffuse qu’il manque un élément dramatique d’envergure dans le plan machiavélique de Karli Morgenthau et de ses sbires.

Mais ne boudons pas notre plaisir : malgré de légers soucis occasionnels de rythme, The Falcon & The Winter Soldier confirme le sérieux des ambitions de Marvel Studios dans le domaine des séries télé. Certes, ne lui prêtons pas des vertus qu’elle n’a pas : l’entreprise reste avant tout du divertissement pur jus. Mais elle ne s’affranchit pas pour autant d’une évidente responsabilité culturelle. La lutte interne de Sam Wilson, tiraillé entre doute et vocation, rend son accession au titre de Captain America plus organique, plus naturelle, et la légitime complètement.

En outre, l’arrivée de nouveaux personnages entre ombre et lumière, comme Valentina Allegra de Fontaine ou John Walker, ouvre des perspectives alléchantes pour le futur du MCU. Et l’on en vient à rêver d’une adaptation de l’arc Dark Avengers des comics, où d’authentiques « bad guys » se substituent aux Avengers, sous la tutelle du peu scrupuleux Norman Osborn. Un peu comme The Boys, mais dans le MCU. Mais on n’en est pas encore là… Pour l’heure, l’information importante à retenir de cette série, c’est que Sam Wilson est officiellement le nouveau Captain America, comme le signifie sans détour le panneau s’affichant à la fin de l’ultime épisode. Après Black Panther, la communauté noire a désormais une nouvelle voix dans le monde des superhéros. Et avec un quatrième film en chantier, également sous la direction de Malcolm Spellman, l’arc de Sam Wilson est loin d’avoir atteint sa conclusion.

Et en attendant de retrouver le dieu de la malice dans la prochaine série Marvel Studios, pourquoi ne pas lire ou relire les autres parties de cette grande saga ? Ou dévorer le Volume 2 des Coulisses du Marvel Cinematic Universe ?


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